Antoine Bioy, Docteur en psychologie clinique et pathologique. Responsable scientifique de l’IFH. Hypnothérapeute attaché au CHU Bicêtre. Enseignant-Chercheur à l’université de Bourgogne
Le trimestre dernier, plusieurs publications importantes ont été des textes de synthèse, ou des revues de la littérature. Ainsi, on note la production de Westphal et Laxenaire autour d’Emile Coué, que l’on ne cesse de redécouvrir en ce moment (2012). Ils synthétisent les heurts et malheurs d’une approche intéressante qui a cependant tendance à être un peu trop idéalisée, ou tout du moins reprise avec peu de distance critique.
Signalons également un excellent article de Luauté (2012) à propos des ecmnésies. Ces émergences d’éléments du souvenir revécues avec une certaine actualité font partie du panthéon de l’hypnose depuis les travaux de Pitres en 1891. Elles ont engagé toute la pratique de régression en âge, jusqu’au diagnostic de trouble de la personnalité multiple, qui est en fait le produit de suggestions bien distillées. Un lien entre psychopathologie et hypnose qui n’est d’ailleurs pas vraiment nouveau, en lien le plus souvent avec des conceptions religieuses plus ou moins masquées (Vandenberg, 2012) incluant le thème de la possession (pour les personnalités multiples).
Concernant les recherches expérimentales, on n’en finit plus d’étudier l’hypnose comme modèle du délire, expression pathologique toujours aussi intrigante (Terhune, 2012). Ce trimestre, Attewell et son équipe (2012) reproduisent de façon étonnante un syndrome érotomaniaque (ici plus perçu comme une interprétation de la réalité, sans réellement de dissociation psychique).
Car qui dit recherche, dit modèle d’étude pour comprendre tel ou tel phénomène, un effet, etc. La recherche réclame en effet une méthodologie cohérente, adaptée, et qui élimine au mieux les biais qui fausseraient les résultats. Cela implique que l’on constitue un groupe d’étude homogène, notamment au niveau de la capacité des sujets à entrer en hypnose. La procédure la plus habituelle est d’user de scripts standardisés, utilisant la suggestion, et de constituer le groupe d’étude avec des personnes susceptibles de recevoir les suggestions au même niveau de facilité que les autres. On peut bien sûr noter que cela ne se passe évidemment pas comme cela dans la pratique clinique. Néanmoins, ce sont bien les études menées avec cette rigueur expérimentale qui ont permis, par leur sérieux, de réimposer l’hypnose dans le champ de la science.
La procédure telle que décrite, souvent nécessaire pour avoir des résultats indiscutables, est néanmoins assez lourde. Baghdadi et son équipe (2012) proposent que la susceptibilité hypnotique soit simplement mesurée par un relevé EEG (électro-encéphalographie ; mesure de l’activité électrique du cerveau). La mesure est certes plus simple; elle demande cependant à être éprouvée, car on est encore aux balbutiements de cette méthode de discrimination par ondes cérébrales (elle est utilisée ailleurs, dans des tâches par exemple en lien avec le repos ou avec des désordres comme la schizophrénie).
Faciliter la méthodologie pour l’étudier permettrait sans doute que l’hypnose soit mieux reconnue comme méthode de santé publique opérante. Car le public convaincu que nous sommes peut avoir l’impression d’une part de plus en plus importante de l’hypnose dans les médecines complémentaires et alternatives. En dehors de la prise en charge de la douleur (comme dans les cancers de l’enfant, Kanitz, 2012), cela n’est pas réellement vrai, à l’image de cette publication de Hoerster et collaborateurs qui évalue le recours à ces méthodes chez les patients arthritiques (gestion de la pathologie toute condition confondue). L’étude a porté sur 3850 patients, parmi lesquels seuls 0,24% a fait appel au moins une fois à de l’hypnose dans l’année écoulée, ce qui la place au 21ème rang sur 23 techniques dénombrées…
Nous ne doutons pas que les praticiens proposent et font beaucoup de choses avec des patients différents. Il paraît de plus en plus important que ces méthodes fassent l’objet d’études et de recherches qui ne gênent pas la prise en charge clinique, tout en offrant une vraie visibilité à la méthode hypnotique. C’est ce qu’ont fait par exemple Keshet et collaborateurs (2012) en évaluant l’impact ressenti de l’utilisation des méthodes complémentaires en service de chirurgie, montrant ainsi des différences selon que les praticiens soient des spécialistes ou ne le soient pas, au prix parfois d’un sentiment général de non reconnaissance, au-delà des effets des méthodes employées.
Et vous, quand commencez-vous à évaluer ?
Références :
Attewell JE, Cox, RE, Barnier AJ, Langdon R. (2012). Modeling erotomania delusion in the laboratory with hypnosis. International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis, 60(1):1-30
Baghdadi G., Nasrabadi AM (2012). Comparison of different EEG features in estimation of hypnosis susceptibility level. Comput. Biol. Med. (2012), doi:10.1016/j.compbiomed.2012.02.003
Hoerster KD, Butler DA, Mayer JA, Finlayson T, Gallo LC. (212). Use of conventional care and complementary/alternative medicine among US adults with arthritis. Preventive Medicine 54, 13-17
Kanitz JL, et al. Keeping the balance – an overview of mind-body therapies in pediatric
oncology. Complement Ther Med (2012), doi:10.1016/j.ctim.2012.02.001
Keshet Y. et al. (2012. The perceived impact of integrative medicine in a surgical department. European Journal of Integrative Medicine 4, e27-e35
Luauté JP (2012). L’ecmnésie entre faits et fiction. Annales Médico-Psychologiques, doi:10.1016/j.amp.2012.02.003
Terhune DB, Kadosh RC (2012). The emerging neuroscience of hypnosis. Cortex: A Journal Devoted to the Study of the Nervous System and Behavior, 48(3):382-386.
Vandenberg, B. (2012). Hypnosis and the pathologising of religious beliefs. Mental Health, Religion & Culture, 15(2):175-189
Westphal C., Lexenaire M. (2012). Emile Coué : amuseur ou précurseur ? Annales Médico-Psychologiques, 170, 36-38
Article paru dans la revue hypnose et thérapies brèves n°25
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