par Antoine Bioy, Docteur en psychologie clinique et pathologique. Responsable scientifique de l’IFH. Hypnothérapeute attaché au CHU Bicêtre. Enseignant-Chercheur à l’université de Bourgogne.
Disons-le simplement, l’activité de recherche n’a pas donné lieu, le trimestre dernier, à des papiers qui pourraient faire évoluer fondamentalement la planète hypnose. Quelques articles de synthèse (dont celui de Kuttner sur hypnose et anesthésie chez l’enfant), ou des méta-analyses qui soulignent la difficulté d’évaluer l’hypnose dans le cadre de procédures standardisées (dont celle de Dickson-Spillmann et collègues sur les groupes d’hypnose et de relaxation dans l’arrêt du tabac). A noter par contre la 4e partie d’une histoire de la neurologie de 1800 à 1950, qui expose les apports de personnages communs avec l’hypnose : Charcot et Janet, essentiellement (Poirier et al., 2012).
Nous avons donc choisi de revenir sur un article qui a fait date, celui de Gandhi et Oakley, paru en 2005, et ses implications pour la pratique. Dans cet article, les auteurs explorent le « label hypnose », c’est-à-dire le fait de savoir si dire le terme d’hypnose ou non va moduler les effets que l’on obtient.
Déjà, Bernheim avait montré que des suggestions sans hypnose pouvaient avoir des effets sur un sujet, et Barber, soixante ans plus tard, avait montré qu’il suffisait que des personnes pensent qu’elles avaient été hypnotisées pour que les suggestions portent mieux. Lynn et collègues, en 2002, avaient toutefois ajouté qu’il fallait malgré tout qu’il y ait un contexte d’hypnose. La question à laquelle Gandhi et Oakley s’attaquent est maintenant de savoir si ces effets de procédure, le contexte d’hypnose, est fonction de la façon dont l’hypnose est présentée.
Ils mesurent donc la suggestibilité à deux temps : avant et après que l’on présente la procédure. Dans un cas, le terme « hypnose » est utilisé, dans le second, il s’agit du terme « relaxation » (le groupe contrôle consistant en des sujets non hypnotisés, l’induction étant remplacée par la lecture d’un extrait neutre d’un ouvrage de psychologie). Après l’induction, une série de suggestions motrices et idéationnelles était proposée pour réalisation, avec une mesure finale sur la façon dont les 105 sujets avaient vécu les différentes étapes de l’expérience. Les auteurs montrent de façon très significative une différence dans la suggestibilité et la qualité subjective de l’expérience vécue entre le groupe « hypnose nommée » et « relaxation nommée ». Dans le premier cas, les effets obtenus sont bien plus importants que dans le second (rappelons que dans les deux cas, l’induction de type hypnotique était strictement la même). La conclusion centrale est donc que nommer l’hypnose permet d’augmenter les effets de la procédure hypnotique et les effets sur la réalisation des suggestions faites.
Cette étude est d’importance à plusieurs niveaux. D’abord, elle assoit l’idée que l’hypnose reste très chargée en termes de représentations et croyances chez les patients, et que ces éléments jouent sur l’expérience vécue et son efficacité. En cela, on ne cessera de le dire, cette méthode possède un statut particulier par rapport aux autres méthodes apparentées (relaxation, sophrologie…). Une exploration de ces croyances peut parfois permettre d’activer des leviers spécifiques, jouant sur les représentations du patient vis-à-vis de ce qu’il pense qu’il va se passer.
La seconde est que la procédure reste bien sûr importante (les suggestions dans un contexte d’hypnose sont mieux réalisées que sans hypnose ; les auteurs le revérifient dans un complément de recherche qu’ils exposent dans ce même article). Cependant, annoncer l’hypnose mobilise les croyances qui permettent d’atteindre un niveau de réalisation plus optimal que lorsque l’on masque qu’il s’agit d’hypnose. La conséquence en pratique clinique est directe : chaque fois que cela est possible, il vaut mieux annoncer l’hypnose que de masquer ce que l’on fait derrière des termes tels que « relaxation », « forme de détente et de concentration », etc. Lorsqu’une personne débute une pratique d’hypnose, par confort personnel, on se rend compte qu’elle hésite parfois à dire au patient ce qui est fait, de l’hypnose. Cette étude de Gandhi et Oakley montre que cette pratique, autant que possible, doit être découragée car elle influe directement sur les effets obtenus.
Bien sûr, des situations ne le permettent pas : le très jeune âge des patients qui pourraient ne pas comprendre le terme, ou encore des dimensions de personnalité singulières comme un niveau d’anxiété élevé, propice à une mobilisation des défenses. Dans ce dernier cas, la représentation « forte » de l’hypnose pourrait jouer contre la procédure, le sujet pensant qu’il vaut mieux rester vigilant au processus en cours. Mais peut-être alors est-il possible de nommer l’hypnose après la première séance d’hypnose, cette fois pour préparer la seconde séance, et après cette première vérification que rien de terrible n’est arrivé…
Ajoutons qu’il y a un autre intérêt de poids à nommer l’hypnose lorsqu’on la pratique dans les faits : elle aide à mieux la faire connaître et à ne pas masquer sa pratique dans le champ de la santé chaque fois qu’elle est dans les faits utilisée. Et cet intérêt aussi est non négligeable…
Références bibliographiques :
– Barber T. X. (1965). “Measuring ‘hypnotic like’ suggestibility with and without ‘hypnotic induction’ : Psychometric properties, norms, and variables influencing response to the Barber Suggestibility Scale (BSS)”. Psychological Reports, 16, 809–844.
– Dickson-Spillmann M., Kraemer T., Rust K., Schaub M., “Group hypnotherapy versus group relaxation for smoking cessation : an RCT study protocol”. BMC Public Health, 2012, 12-271.
– Gandhi B. et Oakley D.A. “Does ‘hypnosis’ by any other name smell as sweet ? The efficacy of ‘hypnotic’ inductions depends on the label ‘hypnosis’”. Consciousness and Cognition 14 (2005) 304-305
– Kuttner L. Pediatric hypnosis : pre-, peri-, and post-anesthesia. Pediatric Anesthesia 22 (2012) 573-577.
– Poirier J., Clarac F., Barbara J.G., Broussolle, E., “Figures and Institutions of the neurological sciences in Paris from 1800 to 1950. Part IV : Psychiatry and psychology”. Revue neurologique, 168 (2012) 389-402.
Article paru dans la revue hypnose et thérapies brèves n°26
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