A l’occasion de la sortie du dernier film de Danny Boyle « Trance », Antoine Bioy, docteur en psychologie et responsable scientifique de l’IFH vous propose un regard critique sur ce thriller et sur le traitement qui est réservé à l’hypnose dans ce film. Il apporte plus spécifiquement un éclairage scientifique sur les questions et craintes que peut soulever ce film : peut-on retrouver sous hypnose des souvenirs qui semblent évanouis ? L’hypnose peut-elle permettre la création de souvenirs retravaillés jusqu’aux faux souvenirs ? Peut-on provoquer des expériences désagréables telles que des douleurs avec l’hypnose ?
TRANCE un film de Danny Boyle
Danny Boyle est l’un des réalisateurs les plus marquants de sa génération. Son Petits meurtres entre amis, en 1994, a instantanément imprimé la marque de ses productions à venir, quelque soit le genre qu’il visitera : le film sociétal noir et inspiré (Trainspotting), le film d’horreur (28 jours après), de science-fiction (Sunshine), le drame allégorique (La plage), la fiction biographique (127 heures), ou bien encore sa grande œuvre oscarisée, cependant moins personnelle : Slumdog Millionaire.
Si nous vous parlons de Dany Boyle ici, c’est que le 8 mai paraît en France sa nouvelle réalisation : Trance, où l’hypnose est au centre de ce qui se révèle être un étonnant thriller psychologique. Pathé ayant eu la gentillesse de nous inviter à une pré-projection, nous vous livrons notre regard sur le traitement ici réservé à l’hypnose.
L’histoire ? Simon est commissaire priseur. Un braquage a lieu lors d’une vente aux enchères dont il a la responsabilité, pour tenter de dérober une œuvre de Goya. A la suite d’un mauvais coup reçu sur la tête lors de ce vol, Simon souffre d’amnésie partielle. Son défaut de mémoire est pour le moins gênant puisqu’il porte sur ce qu’il est advenu du tableau dont les ravisseurs ont tenté de s’emparer… Simon consulte donc une hypnothérapeute, Elizabeth Lamb, dans l’espoir de retrouver la mémoire et de remettre la main sur ce fameux tableau dont il avait la charge.
En dire plus serait dévoiler une part importante de l’intrigue, et gâcher le plaisir du futur spectateur. Nous n’irons donc pas plus loin, même si vous vous doutez bien que cette trame d’apparence simple va donner lieu à une histoire plus complexe. A commencer par le fait que l’intérêt de Simon pour retrouver le tableau n’est pas vraiment dû à une conscience professionnelle qui s’arrangerait mal de la culpabilité d’avoir laissé filer une peinture de plusieurs millions d’euros. Son personnage est aussi complexe que celui de Franck, un gangster joué par Vincent Cassel, avec qui il entretient des liens troubles. Avec Elizabeth, ces personnages forment un ballet à trois, à la fois équilibré, tendu et dynamique, à l’image de ce que Danny Boyle avait déjà exploré dans Petits meurtres entre amis.
Mais comme nous le disions, le vrai liant de l’histoire, et entre ces personnages, est l’hypnose. Si le bénéficiaire des consultations sera bien Simon, c’est Franck qui l’incitera de façon soutenue à engager cette forme de thérapie, alors que de son côté, l’hypnothérapeute va rapidement comprendre qu’elle se trouve prise dans un jeu des plus malsain, qui lui demandera de s’adapter à la situation.
Comme on s’en doute puisqu’il s’agit d’une fiction, et a fortiori d’un thriller, si la place de l’hypnose est centrale dans Trance, ce n’est pas vraiment ses aspects « quotidiens » qui sont ici mis en valeur. Même les quelques extraits de « séance type » en début de film (consultation pour troubles anxieux, alimentaires…) feront sourire l’initié par leur aspect « trop esthétique » (Le personnage d’Elizabeth – jouée par la fort gracieuse Rosario Dawson – déambule négligemment dans son cabinet immaculé, égrenant les suggestions d’un ton à la fois doux et appuyé, laissant entrevoir une pratique simple, mesurée, et particulièrement « sexy » que l’on aimerait tous avoir, ou du moins avec une si constante régularité !). Cependant, il serait incorrect de dire que le traitement réservé à l’hypnose ne correspond pas à une réalité. De fait, si ce qui est montré de la pratique glisse logiquement vers l’inattendu et le spectaculaire, pour autant le film repose à sa façon des questions récurrentes et d’importance au sujet de l’hypnose, ses possibilités et ses limites.
le film repose à sa façon des questions récurrentes et d’importance au sujet de l’hypnose, ses possibilités et ses limites
La première de toute est évidemment le fait de savoir si l’on peut retrouver sous hypnose des souvenirs qui semblent évanouis. Cette question est une « vieille lune » de l’hypnose, qui a fait l’objet de maintes études notamment en hypnose judiciaire tout au long du 20ème siècle, et encore récemment. Témoignages sous hypnose, pans de mémoire qui semblent retrouvées, etc. quels crédits leur donner ? Depuis les travaux notamment de l’un de nos maîtres Jean-Roch Laurence, on sait que l’hypnose ne peut être considérée comme un élément de preuve. L’hypnose permet à une personne de se plonger dans la représentation qu’il se fait d’un événement et non dans le souvenir de l’événement « réel » lui-même. Simplement car la mémoire n’est fixe chez personne, les souvenirs se réécrivent à chaque évocation que l’on en fait. Pour autant, bien sûr que des éléments réels peuvent constituer la fiction que l’on se fait de sa propre histoire, mais dans quelle mesure ? Là est l’inconnu. Alors, dans le film, Simon retrouvera-t-il la mémoire grâce à l’hypnose ? Nous ne le dirons évidemment pas dans ces lignes. Précisons simplement que si la demande de Simon est finalement assez habituelle dans nos consultations (« aidez-moi à ramener le souvenir que je fantasme comme étant à l’origine de mon mal-être »), la complexité de la réponse qui y sera apportée dans le film est particulièrement intéressante car ne va pas se satisfaire d’une réponse évidente et unimodale.
Egalement, le film interroge les « relectures » que l’on fait d’un événement au cours d’une séance et de la façon dont les suggestions hypnotiques peuvent modifier l’interprétation que l’on donne d’un fait. Autrement dit, nous savons depuis Freud (repris par Erickson) que les suggestions ne sont que les véhicules au principe d’influence. Les mots ne prennent sens et force que dans le contexte relationnel qui les voit naître. L’hypnose peut-elle permettre la création de souvenirs retravaillés jusqu’aux faux souvenirs ? Là aussi, la question n’est pas jeune, puisque les premières études sur la question commencent fin du 19ème siècle, un peu par Bernheim (1891) mais surtout par Moll (1889). Clairement le faux souvenir, le souvenir retravaillé, est possible (cf. Spiegel, Loftus, Kunzendorf, etc.). A la condition cependant que les suggestions d’un côté rencontrent de l’autre un désir ou une acceptation que « le réel » soit ainsi retravaillé. Evidemment que les suggestions d’Elizabeth, sentant un piège se refermer sur elle, vont s’intensifier en influence pour trouver une possibilité de résolution. Jusqu’où et dans quelle direction ? Nous vous laissons découvrir cela… Mais en tout cas le film offre une réflexion intéressante : si Simon n’acceptait pas au final l’influence exprimée et pressante de sa psychologue, cette dernière pourrait-elle par hypnose voir se réaliser ce qu’elle lui a suggéré ? La recherche répond non à cette question, ce qui offre au scénario, une fois que vous l’aurez découvert, une épaisseur encore supplémentaire et intéressante…
Finalement, on l’aura compris, Trance présente le visage de l’hypnose le plus spectaculaire, le moins habituel, celui qui finalement concerne des sujets très sensibles par nature à la suggestion, et dont le désir les porte facilement à réaliser les suggestions qu’ils reçoivent, quand bien même ce désir ne leur est pas immédiatement conscient.
En fait, il n’existe dans le film qu’une scène facile et donc contestable, celle d’une douleur induite par hypnose à un personnage secondaire. Si susciter une expérience douloureuse par hypnose est évidemment possible, ce qui est montré est totalement outrancier dans son expression (le personnage se tord de souffrance, semblant ne pas pouvoir échapper à la suggestion). Certes, l’hypnose facilite les processus hallucinatoires de toute nature (comme l’ont montré Hull, Barber, Michaux, etc.), comme ici la douleur, ce qui en fait un outil thérapeutique et de recherche précieux. Mais ces mêmes recherches montrent aussi que le sujet échappe aux suggestions lorsqu’elles vont à l’encontre de son désir, de ses valeurs, ou de la notion d’intégrité physique. Cette scène n’est donc pour le coup qu’une simple fiction et n’a pas de lien avec ce qu’il est possible de faire en réalité. A noter que Danny Boyle s’est adjoint les services de notre collègue David Oakley, Professeur à l’University College of London, pour « superviser » le traitement de l’hypnose dans son film. Une référence aussi passionnée que sérieuse qui a certainement dû pudiquement fermer les yeux sur cette partie du scénario !
On l’a compris, Danny Boyle n’a retenu que des dimensions extrêmes du phénomène hypnotique, qu’il met au service d’une intrigue complexe, parfois trop complexe là où la densité des personnages et le rythme crescendo de l’histoire aurait suffit à maintenir une tension naturelle chez le spectateur. Mais qu’importe, si vous aimez le spectacle, ce film vous en donnera. Et puisque à n’en pas douter il suscitera des questions d’une partie de votre patientèle, nous ne pouvons que vous inciter à le découvrir.
Trance ajoute sa pierre à l’édifice des films qui s’appuient sur l’hypnose pour proposer une fiction surprenante et dense. Il rappelle également par certains aspects des œuvres telles que Memento ou plus récemment Inception. Il appartient en tous cas à la catégorie des œuvres d’auteur à la fois spectaculaires, visuelles, et parce que c’est Danny Boyle, qui véhiculent une ambiance de huit-clos très caractéristique.
Anecdote : Vincent Cassel a révélé qu’aucun des acteurs principaux n’avaient réussi à être hypnotisé sur le plateau, par le professionnel présent. On a envie de lui répondre qu’en tout état de cause, nul n’est besoin d’un hypnotiseur pour cela, la simple vision du film suffit à produire une fascination toute hypnotique…
Antoine Bioy
Responsable scientifique de l’Institut Français d’Hypnose
Enseignant chercheur, directeur universitaire de recherches
Dr en psychologie clinique, attaché hospitalier.
TRANCE un film de Danny Boyle, Avec James McAvoy Vincent Cassel et Rosario Dawson (sortie mai 2013), En savoir plus sur le film