Interview de Antoine Bioy, docteur en psychologie clinique et pathologique. Hypnothérapeute attaché au CHU Bicêtre. Enseignant-Chercheur à l’université de Bourgogne. Ancien responsable scientifique de l’IFH.
Quels sont les enjeux de la communication dans le soin ?
Quelque soit sa nature, tout soin s’inscrit dans une relation. Les travaux en psychologie médicale, humaniste et sociale au cours du 20ème siècle et encore actuellement montrent que ce lien possède une influence considérable, non seulement sur le vécu du soin, mais aussi sur ses effets. Sans compter tout le champ de la prévention des contre-attitudes et ressentis négatifs lors des gestes à venir, si un soin ne s’est initialement pas inscrit dans une relation pertinente. Pour ce dernier domaine, on commence à avoir des données importantes, même s’il reste beaucoup de choses à comprendre scientifiquement.
De quelle façon peut-elle faciliter ou au contraire gêner le soin ?
Dans le champ de la thérapie, notamment, les travaux actuels autour de l’alliance thérapeutique montrent combien un niveau de collaboration adéquat facilite le processus de changement. Et concernant le soin, on retrouve des dimensions identiques : un dialogue pertinent dans un lien fécond va faciliter un acte de soin ou une mobilisation. A contrario, ne pas prendre les deux minutes nécessaires pour l’établir laisse le patient au contact avec son anxiété, ses ressentis difficiles, et rend la situation difficile de part et d’autre jusqu’à parfois de véritables refus de soins, voire une obligation de contention des patients.
Une illustration de cela ?
Lorsque vous êtes soignant et que vous devez effectuer un prélèvement en chambre, vous pouvez bien sûr suivre la règle du » plus c’est bref, mieux cela sera « . On lance juste un » ne vous inquiétez pas, ça ne va pas faire mal » puis un » attention, je pique « , et on pense que le patient va vite oublier tout ça. Mais précisément le patient n’oublie pas vite, et au second prélèvement aura une anxiété plus importante qui rendra le geste plus difficile. De plus, le ressenti douloureux sera accru, d’autant que le cerveau ne fonctionnant pas à la négative, lorsque l’on dit à un patient » ça ne va pas faire mal « , et bien c’est le concept de douleur qui est éveillé dans le cerveau et qui rend le patient très vigilant à tout inconfort…
Egalement, entrer dans une chambre, effectuer son geste avec certes précision et rapidement, exclue le patient de la relation, fait qu’il va se tendre, voire qu’il rentrera en confrontation avec le soignant » vous me faites mal ! Je veux plus, stop ! « .
Le même soignant peut rentrer dans la chambre, peut s’assoir pour préparer son geste, échanger quelques mots en étant à hauteur du visage de l’autre, présenter ce qu’il va faire en annonçant » savez-vous que chaque inconfort peut être évité lorsque l’on sait mieux s’installer pour se détendre un peu plus ? Et pendant que je prends soin de votre bras, je vais vous indiquer comment vous pouvez faire « . Ensuite, un simple exercice que l’on dit de dissociation hypnotique, faisant appel à l’imaginaire du patient, suffit pour que le geste se passe simplement pour le soigné comme pour le soignant. C’est cela que l’on apprend dans la formation que nous proposons.
Que peut apporter l’hypnose dans la communication soignant-soigné ?
Comme je vous l’indiquais, la communication en tant que lien entre deux êtres est le cadre du soin et donc peut l’influencer positivement ou négativement. Au-delà des aspects formels de la communication sur lesquels on peut bien sûr jouer, on peut aussi ajouter des éléments d’hypnose comme dans l’exemple que je viens de vous citer. Cette communication hypnotique facilite bien sûr le soin, mais aussi permet de désamorcer des situations difficiles et peut souvent en prévenir l’apparition. Il s’agit d’induire un léger état de conscience modifiée chez un patient, afin qu’il puisse facilement suivre des suggestions qui lui sont faites et s’appuyer sur son imaginaire pour faire l’expérience d’une réalité différente qui rendra le soin très différent dans son vécu.
Un exemple, cette fois avec un patient enfant ?
Avec un enfant, on fait très volontiers de la distraction. Suivant son âge, on peut utiliser des bulles de savon, un jouet plein de couleurs et de mouvements, ou autre. Mais on peut aussi aller plus loin, et lui dire par exemple » tu crois que c’est du chaud ou du froid qui peut endormir un peu ton bras pour qu’il ne ressente que ce qui va bien ? Du froid, OK, et tu pourrais souffler un peu de froid là juste ici où je te montre ? Mais il faut un souffle bien particulier, un peu magique, montre-moi comment tu fais… On accompagne l’enfant pour qu’il entre en hypnose progressivement en quelques souffles… Là, il est bien endormi maintenant ton bras ? OK, tu peux maintenant aller par la pensée dans ta chambre et me choisir un jouet qui va te câliner un peu ? « . Dans cet exemple, c’est le patient qui fait, il est expert, il prévient lorsqu’il est prêt, et ainsi il valide lui-même que tout va bien aller. Lorsque l’on obtient cela juste par ce lien appelé communication hypnotique, on sait que le geste se passera du mieux possible pour tous.
Qu’apporte une sensibilisation à la communication thérapeutique au sein de l’hôpital?
Bien sûr, comme on l’a vu, un véritable confort de pratique et une relation au patient bien plus satisfaisante puisque ce dernier vit du mieux possible la situation de soin. Mais ce que l’on observe est aussi que le » climat » inter-soignant au moment des actes et la façon de concevoir les protocoles de soins, de penser le déroulé d’un acte, etc. sont bien différents. Dans les lieux hospitaliers où nous intervenons depuis des années, nous avons des retours réguliers et cela est vraiment flagrant : tous les soignants nous disent avoir changé leur façon de pratiquer, que la relation au patient s’est optimisée, et que cela a » fait contagion » auprès des collègues qui eux-mêmes ont modifié telle ou telle façon de faire. Bref, c’est toute une cohérence d’approche au patient qui se dessine peu à peu, différente, plus satisfaisante, plus performante.
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Juin 2012