Portrait d’hypnopraticiens – 5 questions à…
Stéphanie Desanneaux-Guillou – infirmière en hémato-oncologie.
Dr Franck Garden-Brèche – médecin urgentiste au Samu 22.
Tous deux praticiens en hypnose médicale ericksonienne au Centre Hospitalier de Saint-Brieuc.
1. Pouvez-vous vous présenter et présenter votre parcours ?
Après avoir exercé notre métier pendant plusieurs années, nous avons décidé, chacun de notre côté, de partir à la recherche de quelque chose qui pourrait améliorer la prise en charge des patients dans nos spécialités respectives, et ce, en complément des traitements conventionnels. L’une est issue du monde des pathologies chroniques néoplasiques, des soins palliatifs et peut aussi côtoyer les contextes d’urgences physiques, psychiques et émotionnelles alors que l’autre vient de l’urgence suraiguë que l’on rencontre en extra-hospitalier au quotidien. De la prise en charge initiale des infarctus, des accidents de la voie publiques, aux accouchements à domicile en passant par toutes les détresses vitales et les tentatives de suicide. Ces chemins bien différents nous ont conduits à nous retrouver autour de l’hypnose médicale et de son potentiel thérapeutique, sur ce qui est le point commun de nos univers au départ si différents : la souffrance. Qu’elle soit physique ou psychique, aiguë ou chronique, cette souffrance des patients jour après jour nous a amenés à nous former en hypnose et thérapies brèves à l’Institut Émergences de Rennes.
Par la suite, notre vision commune du soin et de l’approche des patients nous a donné l’envie de travailler ensemble tout aussi bien en consultations, en particulier au sein de l’Unité d’Évaluation et de Traitement de la Douleur de St-Brieuc, que pour créer nos techniques de transes à deux voix, des séminaires de perfectionnements et communiquer maintenant les résultats de nos pratiques et de nos expériences de soignants.
2. Vous avez notamment beaucoup développé la notion d’hypnose en situation d’urgence. Qu’est-ce que l’hypnose apporte, dans ce contexte de pratique ?
Les situations d’urgences extra ou intra-hospitalières mais aussi les instants où, dans les services, les patients sont confrontés à l’annonce d’un diagnostic, à un examen ou un geste douloureux qu’ils redoutent ont un point commun. Tous ces moments où s’effondrent la croyance de chacun en une invincibilité et une immortalité (le « ça n’arrive qu’aux autres… ») sont autant d’inducteurs de transes négatives où le patient devient aussitôt hypersuggestible, hyper-réceptif aux messages négatifs qu’il pourrait entendre avec une hyper-mémorisation de ces messages. L’hypnose médicale dans ce contexte d’urgence et de transe négative va permettre d’utiliser tous les éléments en présence, peur, douleur, stress, bruits, agitation ambiante, pour transformer la transe négative en transe positive, installer une hypno-analgésie, seule ou en complément des antalgiques habituelles et saupoudrer autant de suggestions post-hypnotiques pour transformer la souffrance en une ressource, un apprentissage pour la vie à venir. Elle va aussi et surtout permettre de créer et d’approfondir l’alliance thérapeutique et de prévenir l’apparition de syndrome de stress post-traumatique. Au final, l’hypnose médicale en urgence mais aussi celle pratiquée au chevet d’un patient que l’on ne connaît pas du tout pour accompagner un geste douloureux comme cela arrive régulièrement en hémato-oncologie va permettre d’améliorer le confort du patient, des équipes de soins, de limiter l’utilisation et les doses d’analgésiques. Et pour couper court à la question invariablement posée et qui doit à cet instant planer dans votre esprit : oui, mais cela ne fait-il pas perdre du temps alors qu’en urgence on en manque souvent ? Et bien non justement, par l’alliance thérapeutique, par la complicité créée avec le patient, par ce rôle d’acteur dans son propre soin qui lui est confié de nouveau, par les effets positifs collatéraux sur les équipes et le système, c’est en fait un gain de temps lors des interventions en urgences. En particulier, la transe hypnotique peut être initiée et poursuivie tout en poursuivant les protocoles standards de médecine d’urgence.
3. Pouvez-vous nous donner un ou deux exemples concrets de l’emploi de l’hypnose en situation d’urgence ?
En Samu-Smur, l’utilisation la plus fréquente sera sur tout ce qui concerne la douleur aiguë : réduction de fractures, de luxation, désincarcération, brûlures, mobilisation de victimes en positions délicates, infarctus du myocarde, menace d’accouchement, perfusion, pose de drains, etc…
L’autre volet intéressant concernera la gestion du stress durant l’intervention, en particulier si elle est longue comme certaines extractions de milieux difficiles, désincarcération de véhicules, lors des angoissantes détresses respiratoires de l’asthme, de l’insuffisance respiratoire aiguë, ou tout simplement pendant les transports jusqu’à l’hôpital qui sont parfois longs.
Enfin, la prévention du syndrome de stress post-traumatique et la transformation de l’expérience en une ressource pour l’avenir commence dès ces premiers instants grâce à l’hypnose médicale.
En urgences intra-hospitalières et dans les services, on retrouve d’une part l’antalgie : sutures, pose de résines, voies veineuses centrales, myélogrammes, ponctions diverses et variées, examens endoscopiques, biopsies ostéo-médullaires.
D’autres part, l’hypnose conversationnelle trouvera sa place dans la prévention des effets nocebos mais aussi pour permettre au patient de retrouver sa position d’acteur dans son propre parcours de soins.
Quelles que soient les circonstances, l’apport de l’hypnose sera constant sur la gestion du stress, le gain de temps tout en respectant les règles de bonnes pratiques thérapeutiques validées.
4. Les praticiens disent parfois qu’ils identifient quand l’hypnose pourrait être utile pour leurs patients, mais qu’ils pensent ne pas avoir assez de temps pour faire une séance. Que pouvez-vous dire à propos de cela ?
Tout praticien en hypnose médicale sait que tout commence avec la communication thérapeutique jusqu’à la transe formelle en passant par l’hypnose conversationnelle et l’auto-hypnose éventuelle. Souvenons-nous bien qu’en urgence, la quasi totalité des patients sont en transe négative induite par l’événement. Il n’y a donc pas d’induction hypnotique proprement-dite à faire mais simplement à rejoindre le patient dans ce processus de conscience modifiée où l’activité cérébrale est intense et prometteuse si elle est bien utilisée. Utiliser l’hypnose, pour avant tout communiquer et communiquer mieux, plus en harmonie avec le patient, et vivre l’expérience. Pour être aussi en transe soi-même et percevoir un élargissement de la conscience et des compétences. Cette limite qu’est le temps, évoquée pour ne pas utiliser l’hypnose, est en fait plus une résistance inconsciente des soignants qui ressentent une crainte à lâcher-prise. Lorsque ce petit pas est fait pour franchir le mur du temps, on ressent une délivrance car, à cet instant, c’est un nouvel espace de solutions et de confort qui se dessine. Tous ceux qui se sont formés et utilisent cet outil au quotidien le reconnaissent, cela change complètement notre pratique professionnelle et souvent aussi notre perception personnelle des relations.
Pour finir en ce qui concerne le temps, c’est aussi un gain pour la suite car le patient garde en mémoire tout ce qu’il a acquis dans cette première expérience hypnotique dans un moment émotionnel fort et l’investissement initial est largement récompensé lors des soins ultérieurs attendus avec sérénité.
5. Quelle place donnez-vous à la notion de relation en situation aiguë, sans contact préalable avec le patient? A-t-elle finalement des singularités par rapport à la notion de relation en situation plus chronique ?
Effectivement en situation aigüe, quelle qu’elle soit, urgente ou non, lorsque l’on réalise une séance avec un patient inconnu, dont on ignore les croyances, les passions, les craintes, le passé, on se retrouve devant un challenge certes, mais aussi avec une liberté créative où l’utilisation du flou pendant l’accompagnement sera la base d’une bonne alliance. Nous serons aussi amenés à initier beaucoup plus le questionnement pendant la transe, activant d’autant plus les ressources inconscientes du patient et améliorant l’alliance thérapeutique. Plus il y a d’échanges, plus on l’interroge et plus notre patient se sent protégé, valorisé, membre de l’équipe de soins. Cela favorise aussi la position basse du soignant qui devra activer les connaissances du patient. Nous dirions que cette découverte de l’autre en temps réel dans l’urgence accentue la complicité. Il y a un élan, une accélération dans la transe plus facile qu’en situation chronique. Sans parler de la motivation induite par la nécessité d’un « réussir à soulager tout de suite, maintenant, dans l’instant » lors de circonstances chaotiques. Cette notion d’immédiateté, et d’inconnu de l’autre devient une ressource palpable pour le soignant, quelque chose qui le protège aussi lui-même.
En revanche, dans les contextes de soins chroniques, le soignant peut facilement « oublier » le patient pour privilégier un mode automatique dans la relation alors qu’il se concentre sur le geste ou le soin. Le patient, lui, attend aussi lors de ces soins à répétition une vraie présence à ses côtés, bien au-delà du geste. L’hypnose conversationnelle permettra là-aussi au soignant d’être bien présent sur les deux tableaux en même temps.
Nous ne saurions que conseiller à tous ceux, professionnels de la santé, qui sont confrontés à l’urgence et à la prise en charge impromptue de patients inconnus, en situations aiguës et difficiles, de se former à l’hypnose médicale ericksonnienne où l’observation et l’utilisation de tout ce qui se présente offre l’inspiration sur un plateau.
Ce qui se lit alors dans le regard du patient n’a pas de prix…
Portrait chinois
Si l’hypnose était une oeuvre d’art, quelle serait-elle ?
Arundel Castle with Rainbow, William Turner, 182
Si l’hypnose était un personnage, quel serait-il ?
Milton H. Erickson
Si l’hypnose était un lieu, quel serait-il ?
Le Squaw Peak, Phoenix, Arizona
Si l’hypnose était un animal, quel serait-il ?
Un Papillon
Si l’hypnose était un élément de la nature, quel serait-il ?
L’Arc-en-ciel
Si l’hypnose était une musique, quelle serait-elle ?
Hypnose d’ombres et de lumières, la culture des paradoxes,
Laissez-vous surprendre par notre choix…
Butterfly: dance ! (Diary of dreams)
Album : One of 18 Angels (2000)
Si vous voulez découvrir : https://www.youtube.com/watch?v=1G3BVhOutOc
Si l’hypnose était un souhait, quel serait-il ?
Savoir vivre l’instant présent…
Parution
Franck Garden-Brèche – médecin urgentiste et Stéphanie Desanneaux-Guillou – infirmière en hémato-oncologie ont publié “L’hypnose médicale en situation difficile” aux éditions Arnette (2014)