Portrait d’Hypnopraticien
5 questions à… Christian Cheveau
Suite à la parution de son livre sur les traumatismes psychiques, nous vous proposons une interview de Christian Cheveau, médecin généraliste et psychothérapeute, enseignant à l’IFH, spécialisé dans le traitement du psychotraumatisme.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Je suis médecin psychothérapeute. J’exerce actuellement à Neufchâteau (Vosges) et à Vendôme (Loir et Cher).
J’ai une formation initiale de médecin généraliste. J’ai commencé mes études à 30 ans en même tant qu’une formation en psychologie humaniste et je me suis très rapidement passionné pour l’humanisme dans la pratique médicale. Cela m’a conduit à me former en hypnothérapie et en hypnoanalgésie, puis à suivre des formations universitaires sur les aspects biologiques et psychosociaux du stress, et sur les thérapies cognitives et comportementales.
Au cours de mon cursus professionnel, je me suis progressivement spécialisé dans la prise en charge des états de souffrance psychique, plus particulièrement dans le diagnostic et le traitement des traumatismes psychiques. Actuellement mon expérience clinique porte sur plus de 500 cas traités. Le recrutement des patients se fait par le bouche à oreille et à partir d’un réseau de professionnels de santé sensibilisés à cette pathologie.
Qu’est-ce que l’hypnose a concrètement changé dans votre pratique ?
C’est difficile de dire ce que l’hypnose a concrètement changé dans ma pratique. Ma formation en psychologie humaniste m’a donné l’intime conviction que le patient a en lui des ressources non conscientes qui peuvent lui permettre de faire face à l’adversité. Le thérapeute peut, à l’aide de questions pertinentes ou de reflets, aider le patient à cheminer et à trouver par lui-même ce dont il a besoin ou ce qu’il doit faire. La psychologie humaniste m’a permis de développer des attitudes intérieures (écoute en profondeur, foi en l’autre, authenticité, bienveillance, respect de sa liberté…) qui rentrent en synergie avec la technicité que procurent la connaissance et la pratique de l’hypnose.
L’hypnose me permet d’être plus performant en tant que thérapeute : durant l’entretien, je rentre tout naturellement dans une transe hypnotique légère qui accroit l’empathie, et me permet de faire des reflets plus précis ou de poser des questions plus pertinentes. C’est une forme d’hypnose conversationnelle fluide, naturelle, agréable à pratiquer et surtout très efficace.
L’hypnose me permet également de gérer les abréactions qui peuvent se manifester durant un entretien. Il existe des techniques d’induction qui permettent d’obtenir une transe hypnotique quasi instantanée : le patient devient à la fois acteur et spectateur de son ressenti ce qui lui permet de poursuivre son cheminement sans être débordé par la souffrance.
Vous êtes spécialisé dans le traitement du psychotraumatisme. Quelles sont les avantages de l’hypnose ?
L’utilisation de l’hypnose s’avère intéressante par sa similitude avec l’état de stress post traumatique.
Le processus de dissociation est une caractéristique commune à l’état de transe hypnotique et à l’état de stress post traumatique. L’effet de surprise et l’effroi créés par la soudaineté et le caractère inattendu de l’évènement traumatique ont un rôle d’induction très puissant. Cela provoque chez la victime une modification instantanée de son état de conscience avec, comme corollaire, une dissociation : le sujet est à la fois acteur et spectateur de son vécu. Cela se manifeste par une sidération des facultés mnésiques (la pensée est comme paralysée) et une catalepsie des facultés physiques (le corps est figé et ne réagit plus). Ces phénomènes, le plus souvent transitoires, peuvent parfois s’inscrire dans la durée si la frayeur a été importante. L’état dissociatif manifesté par la victime se révèle plus ou moins latent selon le degré de vigilance et de concentration du sujet, et selon la nature des stimuli auxquels il est soumis.
Les propos ou les phénomènes inattendus, surprenants ou déroutants, sont des moyens utilisés en hypnose pour faire entrer très rapidement une personne dans un état de transe hypnotique. Ces techniques, dites d’induction brève, présentent les mêmes caractéristiques que l’évènement traumatique, à l’exception bien sûr de l’effroi.
La dissociation hypnotique permettrait de supprimer la dissociation provoquée par le trauma et par conséquent, la suppression de l’encodage des symptômes qui lui sont liés. Tout se passe comme si l’hypnose ramenait la victime, de l’état de conscience modifiée dans lequel le trauma l’a plongée et la maintient, à un état de conscience d’éveil, ce qui lui permet de se relier à nouveau au monde des vivants.
Sur le plan pratique, l’hypnose présente, d’après mon expérience, des avantages certains comparativement à d’autres techniques de traitement telles que l’EMDR, les TCC ou les psychothérapies de type analytique.
C’est une technique plus confortable que l’EMDR qui peut provoquer des abréactions intenses difficiles à vivre pour le patient.
Le champ d’action de l’hypnose est plus vaste que ceux de la psychanalyse et de l’EMDR : elle fait appel à l’imagination et ne nécessite pas de capacité d’analyse et de compréhension de la part de la victime. Je cite dans mon livre le cas d’un état dissociatif ancien que j’ai traité sans parler d’hypnose et sans avoir recours à une démarche intellectuelle de la part de la victime.
L’hypnose permet aussi d’agir sur des traumatismes psychiques difficilement accessibles à la psychanalyse, aux TCC ou à l’EMDR. C’est le cas des victimes de traumatismes crâniens. Celles-ci se plaignent fréquemment de séquelles, qui se manifestent sous forme d’asthénie, de difficultés de concentration, d’irritabilité, de maux de tête, d’insomnie, de repli sur soi. L’ensemble de ces symptômes, regroupés en un syndrome dénommé « Syndrome subjectif des traumatisés crâniens » évoque un état de stress post traumatique. Dans la plupart des cas, les sujets ne présentent ni cauchemars ni flashes de reviviscence, car ils ont perdu connaissance avant la prise de conscience de l’accident.
Parmi les différentes techniques d’hypnose utilisées pour traiter les traumatismes psychiques, la technique de double dissociation avec désensibilisation des affects* est beaucoup plus rapide que la psychanalyse ou les thérapies cognitivo-comportementales. Il m’est arrivé de traiter un traumatisme psychique en une seule séance ! De plus, cette technique est utilisable en traduction simultanée et est opérante quelle que soient la nature et l’intensité du trauma. Tous ces points sont explicités dans mon livre par des exemples cliniques commentés.
Y a-t-il des situations “limites” où la pratique de l’hypnose semblerait difficile en psychotrauma?
J’ai un cas d’échec patent. Il s’agissait d’un grand reporter qui m’avait contacté sur les conseils de son médecin traitant. Il présentait un traumatisme psychique survenu quelques mois auparavant. Comme il habitait sur Paris, il a accepté que je tente de le traiter en une seule séance d’hypnose lors d’un passage à Paris. En fait j’ignorais qu’il était suivi en même temps pour ce traumatisme par un psychanalyste, sans changement notoire et qu’il n’avait pas osé arrêter la thérapie par sympathie pour le thérapeute.
Je pense qu’il y a eu incompatibilité entre les deux démarches.
D’après mon expérience, je ne pense pas qu’il puisse y avoir des situations « limites » où l’utilisation de l’hypnose serait déconseillée.
Je pense que ce qui peut apparaître comme des situations « limites » relève plutôt des limites de compétences du thérapeute. Par exemple :
– La difficulté à diagnostiquer un traumatisme psychique d’apparence trompeuse se manifestant par la prédominance d’un symptôme, d’un comportement ou d’une somatisation.
– La difficulté à établir une démarche thérapeutique logique dans le cas de traumatismes psychiques multiples.
– La difficulté à induire une transe hypnotique chez un sujet anxieux et en recherche permanente de contrôle de ses affects.
– La difficulté à gérer une abréaction survenant durant la transe hypnotique.
Je me suis personnellement heurté à ces difficultés et je les ai illustrées dans mon livre par 38 cas cliniques commentés de traumatismes psychiques.
Il existe plusieurs approches en hypnose pour cette indication. Pourriez-vous nous décrire en quelques mots ce qui fait la singularité de votre pratique ?
Il existe en effet différentes approches pour traiter un traumatisme psychique sous hypnose. Il n’entre pas dans mes compétences de prendre position concernant le bien fondé de ces différentes approches. L’essentiel est de pratiquer une technique adaptée aux besoins du patient et dans laquelle le praticien se sent à l’aise pour opérer une démarche thérapeutique efficace.
Ma pratique de l’hypnose se réfère principalement au courant ericksonien, car sa conception de l’inconscient, de la transe et des fonctionnements psychiques de la personne humaine rejoint mes conceptions des fonctionnements humains et mon expérience en psychothérapie.
Cependant, pour la prise en charge des psychotraumatismes, j’utilise à certains moments des éléments propres à l’hypnose traditionnelle, à savoir une démarche plus autoritaire et directive. Il s’agit d’une autorité bienveillante et d’une directivité aidante. Celle-ci s’avère nécessaire dans les moments de manifestations émotionnelles intenses afin de permettre à la personne de rester dans l’état de transe qui lui permettra d’aller jusqu’au bout du processus thérapeutique. L’interruption de ce processus, pour quelque raison que ce soit, risque de re-traumatiser le sujet et de mettre en péril l’alliance thérapeutique. Le manque d’assurance du thérapeute et le manque de foi dans la technique qu’il utilise seraient perçus par la victime comme une incapacité à l’aider à affronter l’évènement traumatisant et lui redonner du sens.
La technique que j’utilise a été mise au point par des psychiatres militaires de l’Hôpital d’Instruction des Armées Desgenettes de Lyon. Elle résulte de la synergie entre deux techniques thérapeutiques : l’hypnose et les thérapies cognitivo-comportementales. Elle consiste en une double dissociation avec désensibilisation progressive des affects liés à la scène traumatique*. La première dissociation est induite par la transe hypnotique et la seconde est suggérée au patient durant la transe.
La singularité de ma pratique repose sur :
– Un protocole standardisé.
– La brièveté de la thérapie : 5 séances pour un trauma de type I.
– L’utilisation d’une technique d’hypnose « généraliste » : elle est toujours la même quels que soient la nature du traumatisme psychique, son ancienneté, l’âge de la victime, sa capacité de résilience, ses ressources intellectuelles, ses capacités d’introspection, sa culture.
– La constance des résultats : disparition du syndrome de répétition traumatique et suppression ou très nette atténuation des symptômes d’accompagnement non spécifiques.
*« Plus précisément il est demandé à la personne de s’imaginer dans un lieu dédié, où elle va pouvoir se visualiser, regardant les images à l’origine du trauma » (Guérir d’un traumatisme psychique par hypnose, Christian Cheveau, éditions Josette Lyon, 2014, p.159)
Le portrait chinois de l’hypnose par Christian Cheveau
Si l’hypnose était :
– Une œuvre d’art : la Sagrada Familia à Barcelone.
– Un personnage : Milton Erickson.
– Un lieu : un cocon.
– Un objet : un miroir.
– Un animal : un chat.
– Un élément de la nature : le vent.
– Une musique : Mozart – 2° mouvement du 21° concerto pour piano et orchestre.
– Un souhait : la sérénité.
Guérir d’un traumatisme psychique par hypnose
par Christian Cheveau
éditions Josette Lyon (2014)