Dans cette interview, Brigitte Lutz, psychiatre et responsable médicale de l’IFH, présente son parcours et la façon dont elle articule l’hypnose et la psychanalyse dans une perspective intégrative.
Pouvez-vous vous présenter et présenter votre parcours ?
J’ai eu la chance de suivre un parcours très atypique. J’ai fait mes études de psychiatrie dans les années 80 c’est-à-dire à une époque où apparaissaient les thérapies comportementales, la thérapie familiale, où l’on commençait à parler des recherches menées à Palo alto sur les états de conscience modifiée, où l’on (re)découvrait les traditions chamaniques de soin et de développement personnel. J’ai fait la plus grande partie de mon internat dans le service d’un psychiatre formidable, le Dr Monroy. Son ouverture d’esprit et ses intérêts pour la clinique l’avaient amené à constituer une équipe de praticiens de tous horizons qui nous ont enseigné d’emblée des pratiques et des modèles différents. Dans le même temps, je me suis formée à des approches psychocorporelles, qui étaient marginales à l’époque et aussi à l’hypnothérapie auprès du Dr. Chertok et de Didier Michaux. Ils rassemblaient autour d’eux des chercheurs, intellectuels et praticiens ayant d’autres regards sur la vie psychique et les moyens de la comprendre et de soulager la souffrance et les symptômes. On s’intéressait beaucoup forcément aux mystérieuses intrications du somatique et du psychique.
Tout cela me semblait aller très bien avec ce que j’apprenais des travaux de Freud et de grands psychanalystes comme Ferenczi, Winnicott, Dolto, Abraham et Torok…Tout naturellement ma pratique de la psychothérapie s’est organisée d’une façon intégrative. Néanmoins ce que je voyais des dérives de certaines pratiques m’a toujours fait rester très vigilante sur la nécessité de la cohérence et les risques de trop de syncrétisme, sur l’importance de penser sa pratique et de travailler à comprendre ce que l’on fait. De plus nous sommes notre propre instrument de travail. Cela nécessite une constante remise en questions.
Vous pratiquez l’hypnothérapie psychanalytique. Pouvez-vous nous en rappeler les principaux fondements ?
Il me semble que le principal ressort de cette pratique soit le fait de garder en mains deux outils principaux comme les rênes qui servent à conduire une voiture à cheval. Ces deux axes majeurs que sont le travail avec l’hypnose et l’écoute analytique. L’utilisation des différents niveaux de la dynamique transférentielle et la compréhension voire l’explicitation de celle-ci grâce à la dimension psychodynamique.
La place de la parole est fondamentale parce que c’est aussi au travers des processus langagiers que l’on accède à l’inconscient. C’est ce qui permet l’élaboration, la compréhension, la prise de conscience de ce qui nous meut, de ce qui est à l’œuvre en nous, tant sur le plan organique que psychique. Ce qui implique aussi de faire place au récit. Pour permettre à l’individu de s’écouter, d’entendre ce qu’il dit et aussi de se réapproprier son histoire et de s’en faire le récit.
Le principe de l’association libre se trouve complété d’une association « guidée » par moments. Les séances d’hypnose suscitent l’émergence d’un matériel qui sera pris en compte au même titre que celui qui émerge spontanément dans le discours du patient. Ces séances sont l’occasion de faire des interprétations non pas en paroles, explicitant tel ou tel problème, mais sous la forme de métaphores qui viennent illustrer ce que l’on a compris de l’angoisse ou des conflits inconscients.
Plutôt que de les expliciter, dans un premier temps on va utiliser transfert et contre transfert pour construire des métaphores, accompagner la régression et ou la progression, les résistances que l’on perçoit. Si plus tard dans le travail thérapeutique, l’analyse du transfert peut s’initier, on cessera bien sûr d’utiliser l’hypnose.
On peut ainsi prendre en compte non seulement le symptôme et ce qui le sous tend mais aussi la personne qui est porteuse de ce symptôme.
Ce que permet cette alliance entre hypnose et psychanalyse c’est la découverte de sa vie intérieure et fantasmatique, des conflits inconscients, des théories infantiles, et aussi faire l’expérience au-delà de la question du soin, d’une relation dans laquelle on est écouté et accompagné dans la traversée des épreuves vers plus d’autonomie et cela c’est quelque chose d’irremplaçable. Je crois que la découverte de notre vie inconsciente est la dernière véritable aventure humaine. Quasiment tout sur la planète est connu, balisé, a déjà été fait. Mais aller à la découverte de son monde intérieur reste toujours une première fois. C’est ce qui rend ce travail si passionnant car pour nous aussi thérapeutes, c’est toujours la première fois, toujours une histoire différente.
Quelle formation initiale est-il nécessaire d’avoir ? Faut-il être psychanalyste ?
Oui, il me semble vraiment nécessaire d’avoir une expérience au moins personnelle et si possible professionnelle de la psychanalyse. La compréhension et surtout le maniement des différents niveaux de ce qui se joue dans la relation thérapeutique est une des bases de cette pratique. Et d’autant plus lorsqu’on introduit l’outil hypnotique qui modifie considérablement le mode d’installation et le déploiement de certains niveaux transférentiels. Et cela seule l’expérience de l’analyse permet de s’en servir dans la cure.
Existe-t-il des “indications reines” pour cette modalité de pratique ?
Je crois que plutôt que telle ou telle indication, c’est la rencontre avec le patient qui va décider de l’orientation hypno analytique de la psychothérapie. Quelle que soit leur demande initiale, certains patients ont aussi besoin d’élaborer leur expérience, d’être écoutés, d’avoir du temps et de l’espace pour pouvoir penser ce qu’ils traversent dans leur vie et dans la thérapie. De comprendre les liens complexes entre le passé et le présent, entre les différents éléments de leur histoire. Certaines épreuves de la vie sont une occasion unique d’évoluer, de chercher à mieux se comprendre pour pouvoir mettre en œuvre les changements nécessaires.
C’est surtout le cas c’est vrai pour des patients qui se rendent compte que des répétitions morbides sabotent leur vie, que des difficultés relationnelles actuelles sont l’écho d’autres plus anciennes, que des questionnements existentiels se posent.
Mais il est aussi nécessaire d’avoir des outils pour se mettre à l’écoute du corps, du symptôme somatique, de l’angoisse extrême, pour pouvoir se familiariser avec sa vie intérieure souvent complètement ignorée jusqu’à l’apparition des symptômes. Il faut souvent travailler au renforcement du moi avant de pouvoir s’occuper d’analyser. De faire du contenant comme on dit, de s’impliquer d’une façon active et de soutenir la dynamique vitale.
Quels grands apports cette approche apporte-t-elle à la compréhension de l’hypnothérapie et de sa pratique ?
Je crois que cela apporte surtout un modèle de compréhension des différentes dimensions relationnelles. Que ce soit intra ou interpersonnel.
Cela apporte un degré supplémentaire de complexité dans la prise en compte de ce qui organise les conduites symptomatiques et de ce qui permet d’en sortir. En comprenant mieux les outils dont on se sert, on les utilise mieux. Cela permet de faire le pas de côté qui permet l’écoute et la compréhension de ce qui se joue au final dans la recherche de soin.
Comment et pourquoi le patient peut ou ne peut pas utiliser ce qu’on lui propose. C’est aussi ce qui nous permet de manier l’empathie de façon plus éclairée, en comprenant les mouvements affectifs et émotionnels qui animent le thérapeute et varient au fil de la thérapie
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