Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Médecin anesthésiste en CHU, j’ai suivi la formation « Hypnoanalgésie » de l’IFH de 2005 à 2007 ; très tôt, j’ai intégré l’hypnose à ma pratique au bloc opératoire, puis en dehors du bloc opératoire, sous forme de consultations internes (onco-hématologie et service des brûlés notamment), et enfin, face à la demande croissante des patients, j’ai créé une consultation externe d’hypnose médicale, dans des indications variées (troubles du sommeil, anxiété, acouphènes, sevrage tabagique, etc.).
J’ai également assuré la consultation d’hypnose médicale dans un centre antidouleur, en collaboration avec les algologues et la psychologue.
Parallèlement, j’ai mis en place un groupe de travail sur le thème « hypnose et anesthésie » avec des infirmières anesthésistes, puis une initiation à l’hypnose dans les soins, dans le cadre de la formation continue du CHU. En trois ans, une quarantaine de soignants ont ainsi été formés (IADE, SF, AS, IDE, kinésithérapeutes, médecins).
J’ai rejoint l’équipe des formateurs de l’IFH en 2009.
Je travaille maintenant au CH de Saint-Brieuc, où je développe la pratique de l’hypnose en anesthésie, avec l’ensemble de l’équipe soignante du bloc opératoire, dans le cadre d’un projet d’établissement, dont le « portage » médical m’a été confié à mon arrivée. J’anime notamment un groupe de travail autour de la communication hypnotique et des techniques d’hypno-anesthésie, avec des IADE, des IBODE et des médecins anesthésistes. Je prévois également de proposer une formation interne, fort de l’expérience antérieure.
Quels sont les avantages selon vous de l’hypnose en anesthésie / l’hypnosédation ?
L’anesthésie, en tant que spécialité médicale, est volontiers conçue et perçue comme très technique (technologie du monitorage, praxie des actes anesthésiques) ; la dimension humaine n’est pas toujours clairement perçue, et l’hypnose vient précisément la renforcer, l’enrichir et la replacer au centre du soin.
Les techniques de communication hypnotique permettent de rendre le bloc opératoire plus accueillant et rassurant aux yeux des patients ; par exemple, l’hypnosédation transforme un acte présumé désagréable en un moment inattendu, qui laissera au patient un souvenir positif. Lors d’un passage ultérieur au bloc opératoire, le patient se trouvera dans une disposition d’esprit plus favorable, et les soins n’en seront que mieux vécus.
L’hypnose permet donc de valoriser le passage au bloc opératoire, au bénéfice du patient bien sûr, et aussi de l’équipe soignante, car l’ambiance de travail s’en trouve modifiée.
Je trouve que l’adjonction de l’hypnose simplifie le travail de l’anesthésiste (médecin ou infirmier).
Les effets bénéfiques sur le stress et l’immunité se traduisent aussi par des suites opératoires plus simples, une consommation moindre en antalgiques, une reprise plus rapide de l’autonomie, voire un retour plus précoce à domicile.
Quels actes sont concernés par cette pratique ? Existe-il des contre-indications ?
Tous les actes peuvent être concernés, car la dimension humaine, la réassurance et l’établissement d’un lien privilégié avec le patient prennent leur place à tout instant, pour chaque acte de soin.
Cependant, certaines situations bénéficient tout particulièrement de l’apport de l’hypnose : l’anesthésie locorégionale, la sédation, les actes itératifs et/ou très anxiogènes (mise en place de cathéters à chambre implantable pour chimiothérapie, pansements douloureux, etc.), ou encore lorsque l’adjonction de l’hypnose permet de réduire le retentissement de l’anesthésie en autorisant une technique plus « légère » : une hypnosédation plutôt qu’une anesthésie générale, une hypnose à la place d’une sédation. On observe constamment un effet d’épargne morphinique et narcotique (avec la réduction des effets secondaires qui en découle). De manière plus générale, l’homéostasie est mieux préservée.
La seule contre-indication à mon sens est le refus du patient, lorsque l’hypnose a été présentée de manière explicite, ce qui n’est pas toujours le cas. L’hypnose doit être considérée comme un adjuvant de l’anesthésie (au même titre que certains agents pharmacologiques), et il ne me semble pas nécessaire d’expliciter son emploi ; bien sur, si le patient cherche rétrospectivement des éclaircissements, il est de notre devoir de répondre à ses questions ; c’est aussi l’occasion de lui donner les éléments utiles pour la pratique de l’autohypnose…
Pourquoi l’hypnose n’est pas plus utilisée au bloc opératoire si elle présente autant d’avantages ?
La pratique de l’hypnose dans un bloc opératoire suppose certains changements des pratiques et des habitudes de travail des soignants. Ces changements, je crois, sont à l’origine d’une certaine inertie.
Par ailleurs, j’ai été surpris de constater à quel point des idées fausses au sujet de l’hypnose sont encore fortement ancrées dans les esprits des soignants.
Également, la relation hypnotique suppose une disponibilité totale envers le patient, qu’il n’est pas toujours possible de garantir pour le MAR (médecin anesthésiste) qui l’emploie : il peut avoir sous sa surveillance plusieurs patients simultanément, tandis qu’un(e) IADE (infirmier(e) anesthésiste) reste continuellement auprès de « son » patient. La pratique de l’hypnose en anesthésie nécessite donc la formation prioritaire des IADE !
Enfin, les intervenants du bloc opératoire oublient parfois que l’hypnose présente également des bénéfices à moyen et long terme, qui se manifestent au-delà du séjour au bloc opératoire, et dont ils ne seront pas témoins : douleurs postopératoires, reprise d’autonomie, retour à domicile, etc.
Les enjeux de l’hypnose ne concernent pas que le strict temps de passage du patient au bloc opératoire !
Qu’est-ce que l’hypnose a concrètement changé dans votre pratique ?
L’hypnose a apporté un renouveau dans mon métier, parce que je suis devenu plus attentif et réceptif à la dimension humaine et aux émotions des patients. Également, les suggestions négatives véhiculées par le langage professionnel du quotidien sont omniprésentes, et leur éviction entraîne des effets immédiats et perceptibles, notamment en termes d’anxiété préopératoire. Or, des études cliniques déjà anciennes ont montré que l’anxiété préopératoire est un facteur de risque de complications de l’anesthésie. En ce sens, l’hypnose contribue donc directement à la sécurité de l’anesthésie.
D’autre part, les moyens médicamenteux s’avèrent parfois insuffisants pour libérer totalement le patient de sa plainte ; j’ai trouvé dans l’hypnose ce qui me manquait dans cette situation, qui me semble de plus en plus fréquente. La gestion des émotions des patients s’en trouve grandement facilitée.
Enfin, en définissant l’hypnose comme un adjuvant de l’anesthésie, j’y trouve un outil de travail supplémentaire, qui donne davantage de nuance et de souplesse : un degré de liberté supplémentaire dans ma pratique…
Le portrait chinois de l’hypnose par Arnaud Gouchet :
Si l’hypnose était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?
Le tableau de Dali : « Persistance de la mémoire ». La mollesse des montres illustre la distorsion du temps, et l’arrière plan représente pour moi l’univers des possibles.
Si l’hypnose était un personnage, quel serait-il ?
Celui que l’on surnomme souvent « la bonne étoile », « l’ange gardien » ; celui qui guide nos pas dans les moments de doute, d’incertitude. S’il avait un prénom, ce serait peut-être « Intuition ».
Si l’hypnose était un lieu, quel serait-il ?
Un sommet de montagne, au lever du soleil. J’ai en mémoire plusieurs très beaux souvenirs comme cela.
Si l’hypnose était un animal, quel serait-il ?
Un chat, à la fois fidèle et indépendant, mystérieux et affectueux.
Si l’hypnose était un élément de la nature, quel serait-il ?
L’eau, qui vient à bout de tout parce qu’elle s’adapte à tout. Le bruit des vagues qui refluent entre les galets…
Si l’hypnose était une musique, quelle serait-elle ?
La sonate pour piano n° 14 de Beethoven, dite « Sonate au Clair de Lune » ; la progression des trois mouvements.
Si l’hypnose était un souhait, quel serait-il ?
Celui de vivre en apesanteur