A l’occasion de son atelier-conférence qu’elle animera en novembre avec l’IFH, nous avons le plaisir de vous proposer une interview de Roxanna Erickson-Klein.
Dans cette interview, elle aborde son parcours, sa vision de l’approche ericksonienne, l’originalité de la pratique de son père Milton Erickson et sa propre expérience dans le champ de la douleur.
Roxanna, pouvez-vous nous parlez de votre parcours ?
Je suis la 7ème des huit enfants de Milton et Elizabeth Erickson. Je suis née et j’ai grandi à Phoenix dans l’Arizona, et je vis actuellement à Dallas, au Texas, avec mon mari Alan. Ensemble nous avons 5 enfants qui sont maintenant adultes. Professionnellement, mon métier premier est infirmière, ensuite j’ai passé des diplômes en counseling (thérapie Rogerienne) ainsi que dans la prise en charge des patients présentant des troubles addictifs. J’enseigne les méthodes ericksoniennes depuis plusieurs années mais je ne l’ai pas fait tant que mes enfants n’étaient pas encore majeurs. Maintenant, j’apprécie la liberté de pouvoir voyager et enseigner ; c’est quelque chose qui me procure beaucoup de plaisir.
Est-ce que vous utilisez les méthodes ericksoniennes dans votre travail ?
Bien sûr. Ces idées sont au centre de mon travail, ainsi que de la plupart de mes croyances et de mes valeurs en ce qui concerne les questions de santé et de bien être. Parfois les gens attendent de moi que je sois exactement comme mon père mais cela n’est pas possible. L’une des clés de l’approche ericksonienne est de savoir que vous avez vos propres talents et vos propres compétences, et que vous pouvez les développer d’une façon qui va vous permettre de pouvoir mettre en avant vos qualités personnelles. Dans les approches ericksoniennes, il y a une quantité de façons différentes de pouvoir exprimer sa créativité.
Quel est selon vous le message central de l’hypnose ericksonienne ?
L’approche ericksonienne renvoie à la façon dont l’hypnose peut être intégrée en communication inter et intra personnelle, particulièrement dans le contexte du travail psychothérapeutique. L’approche ericksonienne est un terme générique qui renvoie à une méthode professionnelle, à une visée thérapeutique. Papa l’avait intégré dans une façon de vivre connectée avec les autres, et encourageait les gens à s’accepter de façon à pouvoir améliorer leurs vies.
C’est vraiment important de pouvoir appréhender la philosophie ericksonienne dans son ensemble, de façon à pouvoir comprendre la façon dont l’hypnose prend place dans les relations humaines. Papa aimait bien dire : chacun possède un esprit conscient et inconscient ici et avec moi aujourd’hui. Il décrivait l’esprit inconscient comme un répertoire de tous les apprentissages de la vie, un entrepôt qui comprend toutes les leçons apprises durant l’existence. Il enseignait l’importance que chacun croit en son propre esprit inconscient. Il soulignait la nature de l’inconscient comme une protection bienveillante qui était constamment vigilante aux ressources allant dans le sens de la santé.
Il croyait que les humains avaient une inclinaison naturelle à aider les autres, de la même façon qu’ils possèdent une tendance naturelle à se guérir. La maladie, les problèmes, les conflits internes, créent un déséquilibre dont l’esprit inconscient a connaissance.
Qu’est-ce qui distingue l’hypnose ericksonienne d’autres approches ?
Ce qui distingue les approches ericksoniennes des autres méthodes psychothérapeutiques est fondamentalement la croyance que chacun possède à l’intérieur de lui, les clés qui permettent de pouvoir créer la solution. A l’inverse de la plupart des approches thérapeutiques, il enseignait qu’il existait une capacité chez chaque humain à pouvoir rediriger ces comportements, et que la pensée peut venir de l’esprit inconscient seul.
L’approche ericksonienne renvoie à la façon dont papa enseignait l’hypnose. Il la voyait comme un outil efficace et très diversifié de communication. Il était pour autant très prudent dans sa description de l’hypnose qui n’était pas en soi une psychothérapie ni même une méthode thérapeutique. Il concevait l’hypnose comme un outil pour communiquer avec l’esprit inconscient et il enseignait qu’en entrant en état hypnotique, l’esprit inconscient devient plus disponible pour pouvoir mobiliser les ressources internes et rééquilibrer ce qui doit l’être de façon à pouvoir mener vers la guérison.
D’un point de vue historique, il a été celui qui a souligné que nous entrons tous dans des transes hypnotiques naturelles durant le quotidien de nos vies, et qu’un thérapeute professionnel peut utiliser cette capacité naturelle afin de stimuler le changement et le processus de guérison. Son utilisation de l’hypnose comme outil thérapeutique est allé bien au delà du style classique de formation qui implique que l’on mette le patient en transe au sein d’une session thérapeutique. Il a encouragé l’utilisation de la curiosité, de la métaphore, il a modélisé le rôle de la transe, de la suggestion indirecte, de la confusion, ainsi qu’une grande variété d’autres techniques afin de pouvoir révéler et mettre à profit les états de transes naturelles chez ses patients. Une fois qu’une personne est entrée en transe, le conscient et l’inconscient ont plus d’affinités pour fonctionner en harmonie dans le sens de la révélation des ressources nécessaires à l’intérieur de chacun.
Dans « The Wizard Of The Desert », le documentaire à propos de la vie de votre père, il apparait qu’il utilisait l’hypnose comme un outil d’éducation, une méthode thérapeutique, et également un mode de vie. Est-ce que c’est exact ?
J’adore la façon dont Alexander Vesley – le documentariste – a pu décrire Erickson au travers du regard des autres. Les patients qui sont venus chercher son aide pour résoudre des problèmes, les étudiants qui sont venus chercher une approche philosophique congruente avec ce qu’ils ressentaient instinctivement afin d’adapter la façon de pratiquer, les collègues qui sont venus découvrir comment Erickson faisait pour travailler aussi efficacement avec des patients difficiles, ont tous découverts une façon différente de regarder le monde. En intégrant l’hypnose naturelle dans cette communication quotidienne, papa a pu faciliter un état de transe chez les autres qui a ouvert beaucoup de portes vers la guérison. « The Wizard Of The Desert » est une histoire stimulante du travail d’Erickson, à partir des histoires de personnes qui ont été influencées par son style unique. Souvent dans des rencontres très courtes, papa a pu provoquer un changement interne dans la perspective qui était vraiment centrale afin que la personne puisse changer sa vie. Les éléments clés sont d’avoir confiance en son propre esprit inconscient, et d’accepter la beauté de l’expérience de la transe hypnotique elle-même. « The Wizard Of The Desert » raconte une histoire, l’histoire d’un homme remarquable, et le dit d’une façon unique. C’est un ensemble, un collage de l’impact de changements centraux dans la vie des uns et des autres avec qui Erickson a été en contact.
Abordons votre pratique, si vous voulez bien. Vous avez une pratique confirmée dans le champ de la douleur qui sera l’objet principal de votre intervention en novembre, est ce que vous pourriez nous parler des applications et des limites de l’hypnose dans cette pratique ?
Laissez moi commencer par vous parler d’un épisode particulier de la vie. Mon frère Robert, qui a 4 ans de plus que moi, a été victime d’un accident. Il a été renversé par un camion alors qu’il avait 7 ans. Durant une bonne partie de l’année, il a porté un corset intégral pour ses multiples fractures. C’était il y a de nombreuses années, et à l’époque il n’y avait pas toute la panoplie médicamenteuse que l’on peut avoir aujourd’hui. Alors qu’il était dans un processus de guérison, et bien que je sois extrêmement jeune, j’ai été le témoin de la façon dont mon frère gérait sa douleur. J’ai appris très tôt que la douleur, même lorsqu’elle est très importante, peut être modifiée. Robert pouvait être allongé sur le sofa durant une grande partie de la journée, et si jamais il avait une crise douloureuse que ma mère n’arrivait pas à gérer, elle frappait au bureau de mon père et ce dernier sortait pour discuter avec mon frère. A mon sens, cette expérience de vie a été un facteur clé dans le fait que je devienne infirmière, et également je pense que cela a influencé le fait que ma plus jeune sœur décide de devenir médecin urgentiste.
Cela étant dit, pour répondre à votre question, il y a quelques idées clés dans la façon dont l’hypnose peut être utilisée en gestion de la douleur. Tout d’abord, il est important d’aborder cette question de la douleur avec intérêt et curiosité. L’hypnose peut être vue comme la façon de construire de nouvelles associations afin de pouvoir accepter ce qui est mais aussi de pouvoir construire des connexions intérieures qui permettent d’aller au delà du moment présent, et permettent de construire un futur plus confortable. En effet, nous savons que dans la plupart des cas, la douleur ne peut pas être entièrement éliminée. Et le plus souvent, la question est de pouvoir vivre une vie convenable avec la douleur, par opposition au fait de vivre une vie difficile avec la douleur.
Plus vous êtes proche de l’expérience douloureuse du patient, plus il émerge des possibilités pour aider le patient en transe à découvrir des façons créatives de pouvoir modifier l’expression de sa douleur. La douleur peut être modifiée parce que la perception peut être modifiée. Un changement dans la façon dont on peut mettre l’accent sur la douleur peut avoir une grande influence sur la qualité de vie qui en découle.
Portrait chinois de l’hypnose par Roxanna Erickson-Klein
Si l’hypnose était un chef d’œuvre, ce serait ? Mona Lisa et son sourire qui s’étend si loin.
Si l’hypnose était un personnage, il serait ? Forcément papa, un homme brillant, sage et protecteur.
Si l’hypnose était un endroit ? Le centre de l’Être, à la fois familier, relaxant et protecteur.
Si l’hypnose était un animal ? Un chameau, un animal endurant, puissant avec un esprit indépendant.
Si l’hypnose était un élément de la nature ? Le grand canyon, un territoire vaste, inexploré, qui résonne avec la beauté d’une façon inouïe, au delà de l’imagination.
Si l’hypnose était une musique ? Le bruit de la découverte, des sons calmes qui se fixent dans notre esprit et qui permettent que se rejoignent le passé, le présent, et qui nous accompagnent dans ce futur encore inconnu.
Si l’hypnose était un souhait ? L’énergie de mettre au travail son potentiel, unique et individuel dans un sens qui puisse servir à tout le monde.
Merci pour cette interview
Merci à vous de pouvoir ainsi diffuser la connaissance à tant de personnes, c’est vraiment un privilège de participer à cela.
Propos recueillis et traduits par Antoine Bioy
Séminaire :
le 1 et 2 novembre 2014 à Paris