Portrait d’Hypnothérapeute
5 questions à… Philippe Aïm
Suite à la parution de son livre « Ecouter, parler : soigner » , nous vous proposons une interview de Philippe Aïm, psychiatre et psychothérapeute, praticien hospitalier, créateur de l’Institut U.T.Hy.L. et intervenant à l’IFH. Il nous présente son parcours et la complémentarité de l’hypnose et des thérapies brèves.
Comment en êtes-vous venu à pratiquer l’hypnose ?
Par hasard et par curiosité ! Sur Internet, je suis tombé sur l’existence d’un intitulé bien étrange « D.U. d’hypnose médicale ». Comment des mots si sérieux, universitaire et médicale, pouvaient-ils entourer le mot « hypnose », pratique que je considérais presque charlatanesque ? Incrédule et béotien, sceptique et prétendument scientifique, je me suis virtuellement pris une baffe en écoutant parler un certain Roustang… J’ai entendu ensuite parler d’Erickson, de De Shazer…
La passion ne m’a plus quitté, j’ai continué à me former puis rapidement à former d’autres soignants.
Qu’est-ce que l’hypnose a changé dans votre pratique de psychiatre ?
A peu près tout ! La pratique de l’hypnose a infiltré la façon dont je menais mes entretiens quelque soit le milieu ou j’ai travaillé (unité fermée, ouverte, pédopsy, centre de consultations, psychiatrie de liaison, psychiatrie pénitentiaire, pratique de ville…). Elle m’a surtout appris à proposer une thérapie centrée sur les besoins et ressources du patient, à retrouver le corps dans la relation (ce que les « psys » oublient parfois !), à mieux communiquer…et à ne presque plus prescrire !
Vous proposez notamment un lien en pratique entre l’hypnose et les thérapies brèves. Comment chacune de ses approches peut s’enrichir de l’autre ?
De très nombreuses façons ! Tout d’abord, l’hypnose et les thérapies brèves (TB) c’est un peu la même chose. L’état d’esprit est le même, ce sont des conversations hypnotiques avec des outils de communications d’une grande acuité. Leurs fondateurs sont tous inspirés de ce mouvement d’idées né du rapprochement entre Erickson et Palo Alto. De ce fait, les approches sont parfaitement miscibles entre elles. Il est agréable pour le thérapeute d’avoir plusieurs cordes à son arc (cela finit par faire une guitare !).
En plus de l’attention au corps (et donc pas seulement aux psychisme) que permet l’hypnothérapie, les thérapies brèves ont développé, je crois, trois aspects majeurs : l’orientation sur les ressources plutôt que sur le problème (probablement le plus grand apport d’Erickson), l’importance donnée à la forme de la communication (plus qu’à une « connaissance psychopathologique ») pour que le changement survienne -le tout n’étant pas qu’un message soit énoncé mais qu’il atteigne son destinataire- et bien sur la dimension relationnelle, systémique, synchronique. De plus, les thérapies brèves nous donnent une stratégie, nous aident à définir des objectifs, une direction, à agir de façon thérapeutique en dehors de l’hypnose formelle et ratifiée. Elles nous éclairent sur ce qu’on fait en hypnose et enrichissent harmonieusement notre pratique.
Auriez-vous un exemple clinique illustrant ces apports réciproques ?
L’approche peut être intégrative (un problème, plusieurs approches conjuguées) ou complémentaire (l’outil différent selon la « partie du problème » qu’on aide).
Exemple intégratif : Disons qu’on vienne me voir pour un sevrage tabagique. Pour un même, « symptôme », les thérapies brèves m’aideront à repérer par exemple simplement le type de relation dans lequel le patient se place et de ce fait le type d’hypnose qui en découlera. En définissant comment s’oriente la motivation, quel est le meilleur objectif, la relation au problème… L’exercice hypnotique sera plus stratégiquement orienté. Dans les suites, les TB me permettront plus facilement de communiquer efficacement sur les ressources découvertes, qu’on pourra explorer et ancrer en hypnose, etc. C’est une pratique individualisée et dynamique.
Exemple de complémentarité : les symptomatologies complexes comme le traumatisme sont de bons exemples : gérer les flash-backs avec des mouvements oculaires, retrouver corps et sécurité en hypnose, raconter différemment son histoire avec le narratif, remodeler les relations familiales en systémie, trouver des ressources pour améliorer sa vie avec l’orientation solution… Les exemples sont infinis.
Dans votre ouvrage, « Ecouter, parler : soigner – guide de communication et de psychothérapie à l’usage des soignants » vous proposez un regard particulier sur la relation thérapeutique. En hypnose, quelles caractéristiques cette relation revêt-elle selon vous ?
La grande originalité de l’hypnose et sa force, Roustang comme Erickson le montrent bien, c’est de sortir de l’illusion de la neutralité. Le thérapeute n’est pas neutre, son influence est permanente ! A partir de là, que faire de cette influence ? L’éthique du soignant est fondamentale ! L’hypnose et les thérapies brèves acceptent ce fait (plutôt que de le nier) et tentent de l’utiliser au bénéfice du changement et de la thérapie (plutôt que de tenter de s’en défaire, de lutter contre). Donc communiquer activement et précisément. Ce livre est parti du constat que dans les études de santé, les professionnels entendaient des conseils très généraux (être empathique, créer la confiance, maintenir une juste distance, reformuler, etc.) mais sans jamais d’outils concrets. J’ai voulu restituer des principes simples, inspirés par l’hypnose et les thérapies brèves, efficaces et utilisables par tout soignant (pas seulement psy !) pour améliorer la communication, la « part psychologique » inhérente à tout soin, et, par là, la relation thérapeutique.
Le portrait chinois de l’hypnose par Philippe Aïm
Si l’hypnose était :
- Une oeuvre d’art : Pygmalion et Galatée, de Jean-Léon Gérôme
- Un personnage : ma personne ressource, héros d’adolescent est Rocky. Personnage bien plus intéressant et complexe qu’il n’y paraît, film magnifique, pluri-oscarisé et à revoir. Cela pourrait aussi être Dumbledore dans Harry Potter, parce qu’il est vraiment constructionniste et orienté ressources ! (La fin du chapitre 23 du tome 6 est une leçon extraordinaire).
- Un lieu : le vieux Lyon de mon enfance avec des « traboules », ces passages secrets entre deux immeubles, qui font, pour les initiés, changer de rue et de paysage en quelques pas stratégiques.
- Un animal : un dix-huitième chameau.
- Un élément de la nature : une pomme. Celle qui tombe sur la tête de Newton.
- Une musique : cela change régulièrement… En ce moment « I am the walrus » des Beatles. Je trouve les harmonies, l’orchestration, les arrangements, les subtilités incroyables. Mais le texte ne veut (apparemment) rien dire ! Et pourtant la chanson peut faire ressentir une émotion, une énergie, prendre du sens… C’est cela aussi l’hypnose : la forme compte plus que le fond, l’on y met confusion, indirectivité, implications, mots-valises ; l’auditeur se réapproprie le contenu grâce au rythme des mots, y met un sens qui lui appartient et devient créatif ! Et de façon plus générale, un de mes morceaux préférés, absolument magnifique et hypnotique est « Love Letter » de Michel Petrucciani, la version « Au théatre des Champs-Elysées » 1994. La magie opère.
- Un souhait : parfois, surtout en ce moment, le monde qui nous entoure est difficile, douloureux, décourageant. Mon souhait est que, par notre travail d’hypnose et de thérapie, nous puissions, en aidant quelques personnes à rendre leur monde un peu plus doux, apporter nos quelques gouttes d’eau pour contribuer à l’océan de ce qu’il reste à faire pour rendre le monde un peu meilleur.
Référence bibliographique
Ecouter, parler : soigner, Guide de communication et de psychothérapie à l’usage des soignant
Philippe Aïm, éditions De Boeck (2015)
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