par Antoine Bioy, Docteur en psychologie clinique et pathologique. Responsable scientifique de l’IFH. Hypnothérapeute attaché au CHU Bicêtre. Enseignant-Chercheur à l’université de Bourgogne.
Ce dernier trimestre 2012, un article a défrayé la chronique scientifique, à partir des recherches menées dans le laboratoire du talentueux Spiegel, à Harvard (Hoeft et al., 2012). Les auteurs semblent en effet prouver que l’hypnotisabilité ne serait pas un trait de personnalité, mais serait le produit de connexions neuronales spécifiques. Pour ce faire, les auteurs s’intéressent aux différences entre 12 sujets faiblement hypnotisables et 12 sujets hautement hypnotisables (tous adultes), en partant à la recherche d’une signature neurologique qui les différencieraient. Ceci permettrait d’atteindre une vieille lune : construire des scripts cliniques adaptés aux profils psychologiques / cognitifs, et ici neurologiques, des patients.
Sur un plan général, cette étude confirme une nouvelle fois que l’état hypnotique n’est pas un “lâcher prise” comme cela est souvent dit, mais un modulateur des champs cognitifs et sensoriels. Roustang parlait d’un éveil paradoxal, les neurosciences continuent à lui donner raison. Et les auteurs de conclure que finalement l’hypnose peut être synthétisée comme une situation de “ conflict-free attention and intention ”.
Mais surtout, grâce à l’IRM, les auteurs ont observé ce qui se passe dans les deux groupes selon 3 modalités d’activation : le réseau du mode par défaut (état de base, lorsque le cerveau est inoccupé), le réseau exécutif (prise de décision) et le réseau de saillance (travail de hiérarchisation entre informations perçues). Ces deux derniers réseaux possèdent un niveau de co-activation important chez les sujets fortement hypnotisables alors que ceux faiblement hypnotisables ne possèdent pas cette caractéristique. Précisément, le cortex préfrontal dorsolatéral et le cortex cingulaire antérieur dorsal semblent fonctionner de concert chez les sujets fortement hypnotisables, amenant à une mobilisation particulièrement coordonnée entre le contrôle exécutif, l’attention et la concentration. Au final, il semble bien se dégager une signature neurologique caractéristique permettant de discriminer les deux groupes étudiés.
Mais un certain nombre de commentaires peuvent être faits. Tout d’abord, une assimilation malheureusement classique entre suggestion et hypnose, ce qui conduit à confondre état hypnotique et expérience hypnotique. Au final, l’hypnose est réduite à un état de suggestibilité et c’est bien ce qui est mesuré ici et non l’hypnose en tant que perspective et pratique clinique.
Par ailleurs, nous pouvons également souligner que l’étude passe sous silence une question de taille : la suggestibilité est-elle le fruit d’une certaine connectivité ou bien les expériences permises par la suggestibilité hypnotique ont-elles remanié les connectivités centrales ? Les auteurs n’abordent pas ce point pourtant crucial, faisant simplement une allusion au fait qu’il faudrait aller voir ce qu’il se passe dans des pratiques « avec training », type mindfulness. Mais l’état hypnotique étant un état spontané et naturel, peut-on vraiment dire que les sujets étaient « sans training » ? Les sujets n’avaient pas de pratique intentionnelle de l’hypnose, mais avaient pour autant une expérience antérieure de l’état hypnotique. Cette dernière n’était pas contrôlée, y compris dans ses dimensions pathologiques qui peuvent moduler le niveau de suggestibilité : syndrome de stress post traumatique, état pseudo-épileptique, troubles dissociatifs… Les auteurs remarquent eux-mêmes qu’ils n’ont pas contrôlé cette variable, ce qui montre bien qu’ils ne sont pas si extrêmes que cela dans le souhait de faire pencher la balance du côté de la seule hypothèse neurologique, et qu’ils reconnaissent la nécessaire prise en considération de données psychologiques.
Dire que la capacité d’hypnotisabilité serait du seul produit des neurones serait absurde, d’ailleurs les auteurs ne l’affirment pas de façon aussi radicale. Aussi absurde qu’un Bernheim affirmant un temps que l’hypnose n’était que suggestion. Comme pour toute chose, les explications multimodales sont à privilégier… Et ce qui est formidable, c’est que l’on n’est qu’au début du chemin, et que cet article constituera certainement une étape importante qui va influencer les recherches à venir.
Référence : Hoeft F, Gabrieli JDE, Whitfield-Gabrieli S, Haas BW, Bammer R, Menon V, Spiegel D. Functional Brain Basis of Hypnotizability. Arch Gen Psychiatry. 2012;69(10):1064-1072
Février-Mars-Avril 2013
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