Par Antoine Bioy, Responsable Scientifique de l’IFH
Professeur de psychopathologie et psychologie médicale (Université de Bourgogne) – Docteur en psychologie clinique attaché au CHU Bicêtre
Commençons par une étude épidémiologique d’envergure (Purohit et al, 2013), qui montre que l’hypnose, avec d’autres thérapies « corps esprit » (selon la classification OMS), est un recours spontané pour les patients ayant des troubles neuropsychiatriques (anxiété, dépression, insomnie, maux de tête, troubles de la mémoire, déficits attentionnels, troubles du sommeil journalier). Ainsi, sur plus de 23000 patients, un quart ont recours à ces thérapies complémentaires contre 15% dans la population générale. Les chercheurs montrent également que plus les patients ont de symptômes, et plus ce recours est important. La raison la plus souvent invoquée par les patients est un manque d’efficacité des thérapeutiques médicales traditionnelles. Pour autant, 70% des patients ne parlent pas de ce recours aux thérapies « corps-esprit » à leur médecin… Pourtant, ces derniers sont de plus en plus sensibilisés, notamment aux avantages de ces méthodes en douleur.
Sur ce thème, une équipe suisse se penche sur le fait que, si l’hypnose présente bien sûr des avantages pour les patients douloureux, il est également important de relever son intérêt sur les soignants qui prennent en charge lesdits patients.
Ainsi, Bertholet et son équipe lausannoise présentent une évaluation du niveau de stress d’intervenants auprès de patients grands brûlés, avec ou sans hypnose (2013). Ils notent une diminution significative de la perception du stress lors des procédures sous hypnose : ces dernières sont vécues comme « souvent à constamment stressantes » sans la présence d’une hypnopraticienne et comme « jamais à rarement stressantes » lorsqu’elle est présente. Les résultats sont significatifs pour les quatre situations de soins étudiées : soins douloureux (p<.02) ; soins avec un patient algique (p<.02) ; soins avec un patient anxieux (p<.01) ; soins avec un patient confus/agité (p<.03). L’effet diminution du stress avec l’hypnose est particulièrement marqué en unité de réanimation.
A l’heure où chacun est invité à montrer l’efficacité de ce qu’il emploie, ce type d’étude plaide pour une vision intelligente de l’hypnose, qui ne saurait être considérée comme un analogue médicamenteux, mais plutôt comme une approche singulière et différente de l’autre en difficulté, dont chacune des parties peut tirer un bénéfice. On pourrait y ajouter que, pour les professionnels qui travaillent à l’évaluation de leurs pratiques, il est incontestable que glisser un item autour de la satisfaction du soignant à réaliser l’acte est toujours précieux.
Passons à un autre thème. Si l’intérêt de l’hypnose sur la sphère expérimentale est à nouveau démontrée (Oakley et Halligan, 2013), Lifshitz et l’équipe d’Emir Raz plaident quant à eux pour une hypnose permettant d’avancer sur la voie de la neurophénoménologie. Selon les auteurs, elle présente plusieurs avantages : plus rapide que les pratiques méditatives pour produire des changements neurophysiologiques, elle permet aussi de mieux saisir la vie psychique, subjective, du sujet jusqu’à l’étude des facteurs interpersonnels en situation de modification de conscience.
Quel rapport entre l’étude lausannoise, profondément clinique, et l’expression d’un point de vue scientifico-expérimental de Lifshitz et consorts? Précisément dans une plus grande ouverture vers ce qu’est l’hypnose en tant que phénomène qui s’inscrit dans un contexte, et dans un contexte relationnel en particulier. Enfin l’hypnose n’est plus réduite à un simple médicament « particulier » ! Ceci est également illustré par la présentation d’expérience de notre collègue Elisabeth Barbier autour de la pratique de l’infirmière en oncologie (2013), et par un thème proche présenté par Rémi Etienne (2013).
Au rayon transculturel, une intéressante mise en perspective entre hypnose et le Patanjali’s yoga sutras est proposée par une équipe indienne (Chowdhary et Gopinath, 2013), qui met en avant des importantes similarités entre les deux pratiques.
Pour finir, une étude montrant que les chercheurs peuvent aussi faire des choses sympathiques (!) : Semmens et al ont montré que l’ingestion d’alcool augmentait la susceptibilité à l’hypnose (étude versus placebo : un groupe a reçu de l’alcool, l’autre a bu un liquide qui ressemblait à de l’alcool, qui avait le goût de l’alcool, mais… qui n’était pas de l’alcool !). Précisons cependant qu’il ne s’agissait seulement que de 0,8mg d’alcool par kilo… Ce n’est donc pas votre intérêt pour l’hypnose qui permettra de justifier votre prochaine ivresse… Allez, santé !
Références bibliographiques
Barbier E., « L’infirmière hypnothérapeute en cancérologie », Soins, 2013 Jun;(776):46-48.
Bertholet O, Davadant M, Cromec I, Berger MM., “Hypnosis integrated in burn care: impact on the healthcare team’s stress. Rev Med Suisse”, 2013 Sep 11; 9(397):1646-1649.
Chowdhary S, Gopinath JK. “Clinical hypnosis and Patanjali yoga sutras”, Indian J Psychiatry, 2013 Jan; 55(Suppl 2):S157-64. doi: 10.4103/0019-5545.105516.
Etienne R., « L’infirmier hypnothérapeute, une spécialité à promouvoir », Rev Infirm. 2013 May;(191):30.
Lifshitz M, Cusumano EP, Raz A. “Hypnosis as neurophenomenology”, Front Hum Neurosci. 2013 Aug 15;7:469. doi: 10.3389/fnhum.2013.00469.
Oakley DA, Halligan PW., “Hypnotic suggestion: opportunities for cognitive neuroscience”, Nat Rev Neurosci. 2013 Aug;14(8):565-76. doi: 10.1038/nrn3538. Epub 2013 Jul 17.
Purohit MP, Wells RE, Zafonte R, Davis RB, Yeh GY, Phillips RS., “Neuropsychiatric symptoms and the use of mind-body therapies”, J Clin Psychiatry. 2013 Jun;74(6):e520-6. doi: 10.4088/JCP.12m08246.
Semmens-Wheeler R, Dienes Z, Duka T., “Alcohol increases hypnotic susceptibility”, Conscious Cogn. 2013 Sep; 22(3):1082-91. doi: 10.1016/j.concog.2013.07.001.
Novembre / Décembre / Janvier 2014
En savoir plus sur ce numéro