Dans cette chronique consacrée à l’actualité de la recherche, Antoine Bioy, expert scientifique de l’IFH, présente une synthèse des études récentes sur l’hypnose dans de nombreux domaines tels que les troubles du sommeil, l’hypnose et la pleine conscience, l’hypnose et l’entrainement sportif…
Il présente et commente également la nouvelle définition de l’hypnose proposée par l’American Psychological Association (APA).
L’hypnose est en plein développement dans les pays hispaniques, avec d’intéressantes études portant, notamment pour l’Espagne, sur le travail de la suggestion, mais aussi autour des représentations de l’hypnose et ses incidences dans le domaine de la pratique clinique (Capafons et al, 2015). Plus habituelles, des recherches sur les effets de la méthode existent, comme celle, mexicaine, sur l’évaluation des effets de l’hypnothérapie sur la qualité de sommeil des patientes atteintes d’un cancer du sein (Bernal et al, 2015). L’hypnose montre une supériorité sur les traitements médicamenteux concernant la qualité générale du sommeil et plusieurs sous-modalités (dimension réparatrice, durée…). Cependant, le résultat est atteint avec un nombre important de sessions d’hypnothérapie qui sont très rapprochées dans un premier temps (12 sur le premier mois, puis une session tous les 15 jours les six mois suivants). Sans doute qu’une seconde phase incluant la pratique d’autohypnose serait nécessaire. L’étude reste cependant intéressante pour ses résultats, mais aussi car elle souligne l’énergie que cela demande ! Cela pose enfin la question de la faisabilité hors cadre d’hospitalisation. Nous avions déjà évoqué ici une recherche sur qualité de sommeil et hypnose, à partir d’un simple travail de suggestion. Cordi et collaborateurs (2015) montrent qu’en effet la qualité de sommeil est améliorée chez des personnes qui présentent des troubles du sommeil en lien avec le grand âge, à confirmer cependant dans le temps puisque le dispositif reste ponctuel. Ces deux études amènent à penser et créer un dispositif réaliste, mais plus léger que la première étude, avec peut-être un travail de (auto)suggestions plus important, comme dans la seconde étude.
Une question parmi les plus posées en formation, par les patients, et plus ponctuellement par les recherches, est de connaître les points communs et différences entre hypnose et pleine conscience. Même si, aux Etats-Unis, les deux approches sont souvent assimilées (par pragmatisme : ce sont des approches cousines et l’hypnose est bien moins employée que le mindfulness). Pour autant, la recherche ne soutient pas vraiment un amalgame complet. Ainsi Renelli (2015) procède à une très intéressante étude portant sur 91 personnes qui, à l’issue d’un stage intensif de yoga (15 sessions de 75 mn), bénéficient soit d’une séance de méditation pleine conscience (42 personnes), soit d’une séance d’hypnose (39 personnes). Une investigation avec la Phenomenology of Consciousness Inventory permet d’explorer le vécu de la mindfulness vs hypnose. Dans la première approche, le niveau de transe est moins profond et la vivacité des images mentales est moindre. D’autres différences moins importantes mais qui restent significatives sont à relever : les personnes qui bénéficient de la pleine conscience ont un niveau de dialogue intérieur et une conscience de soi plus importants qu’en hypnose, par contre leur niveau de contrôle volontaire est ressenti comme moins important qu’en hypnose. Aucune différence n’a été relevé sur les autres dimensions mesurées : niveau d’état de conscience modifiée, niveau de vécu expérientiel, occurrence des ressentis affectifs (positifs ou négatifs), niveau d’attention, de rationalité et de mémoire. On peut traduire ces résultats par le fait que le vécu hypnotique est associé à moins de contenus internes qu’en méditation pleine conscience. Cette dernière semble faire appel à une activité cognitive plus importante (un « regard intérieur » non nécessaire en hypnose). Sans doute que l’étude serait à compléter par une investigation des effets d’une pratique régulière. Même si le stage de yoga mettait les expériences « à zéro » afin de lisser les aptitudes antérieures, il reste à définir comment les vécus évoluent avec la chronicité de telle ou telle pratique.
Au rayon « histoire et clinique », signalons une très belle revue de la littérature historique de Patihis et Younes-Burton (2015) sur hypnose et faux souvenirs. Les auteurs insistent sur le fait que tout praticien doit connaître l’histoire de sa méthode pour mieux en comprendre les ressorts et aussi les pièges, sur ces aspects (comme d’autres). Nous adhérons pleinement à cela, et donc la lecture de cette littérature est à nos yeux nécessaire. Sur un thème proche (l’histoire au service de la compréhension de la pratique), nous avons rédigé il y a quelques années un article à propos du non-abandon de l’hypnose par Freud (Bioy, 2008), contrairement à une rumeur tenace, savamment entretenue par certains psychanalystes. Houssier (2015) apporte une nouvelle pierre à cet édifice de « réhabilitation », en analysant une correspondance de Freud avec Federn où le père de la psychanalyse suggère à son collègue la pratique de l’hypnose y compris au sein d’une cure analytique (hypnothisch(en)-Psychoanalyse). Une correspondance près de 20 ans après le prétendu abandon de l’hypnose… Quand cessera-t-on d’enseigner que Freud se détourna de la pratique hypnotique ?
Jensen et collaborateurs (2015) font une revue de la littérature concernant les effets variables de l’hypnose sur les personnes. Ils montrent que les études pertinentes intègrent forcément un regard sur les trois principaux axes : biologiques (dont neurophysiologie), psychologiques et relationnels/sociaux. Les études qui ne tiennent compte que d’une dimension n’ont qu’une appréhension partielle voire incorrecte du phénomène. Les auteurs engagent à penser « en dehors des cadres » et d’ouvrir les modèles existants vers plusieurs modalités de compréhension dans de mêmes recherches.
Enfin, signalons une revue de la littérature sur les avantages de l’entrainement sportif avec hypnose (Milling et al, 2015), dont l’efficacité a surtout été montrée dans le cadre du basket et du golf.
L’American Psychological Association (APA) est le seul organisme international reconnu par les milieux scientifiques à l’heure actuelle. L’APA vient de proposer une nouvelle définition de l’hypnose : « un état de conscience (consciousness) qui induit une absorption de l’attention et une diminution de la conscience (awareness) caractérisé par une plus grande capacité à répondre aux suggestions ». Nous ne développons pas sur les deux termes anglais, là où nous n’en avons qu’un pour « conscience. » Mais il faut noter que cette définition situe l’hypnose de façon unilatérale comme un état de conscience (nous parlons pour notre part d’état de fonctionnement psychologique, pour contourner le piège de la définition de la conscience) qui ne dit plus la dimension relationnelle pour ne faire que l’évoquer (il faut bien que les suggestions soient prononcées par un autre que soi…). Une définition simple et opérationnelle, que l’APA propose comme une ossature pour penser l’hypnose selon des référentiels multiples, selon les besoins d’étude et de pratiques. A noter que le numéro 57 (4) de l’American Journal of Clinical Hypnosis est consacré aux débats autour de cette nouvelle définition. Et vous, qu’en pensez-vous ?
Bernal LJ, Lopez AT, Garcia J, Marisol D, Cadena G, Cirilo H, Garcia E. « The effect of hypnotherapy in the sleep quality of women with breast cancer », Psicooncologia Vol.12(1), 2015, pp. 39-49.
Bioy, A. (2008), « Freud et l’hypnose. Une histoire complexe » Perspectives Psy 47 (2), 171-184.
Capafons A, Suarez-Rodriguez JM, Selma ML. « Confirmatory factor analysis of the Valencia Scale of Attitudes and Beliefs Toward Hypnosis (revised client version), with a Spanish sample » Anales de Psicologia Vol.31(1), Jan 2015, pp. 84-95.
Cordi MJ, Hirsiger S, Merillat S, Rasch B. « Improving sleep and cognition by hypnotic suggestion in the elderly » Neuropsychologia Vol.69 Mar 2015, pp. 176-182.
Houssier F, Vlachopoulou X, Bonnichon D, Capart N. « Freud consultant. Une lecture de la correspondance entre Freud et Federn », Revue française de psychanalyse 2015/4 (79), p. 1198-1212.
Jensen MP, Adachi T, Tome-Pires C, Lee J, Osman ZJ, Miro J. « Mechanisms of hypnosis: Toward the development of a biopsychosocial model » International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis 63(1), Jan 2015, pp. 34-75.
Milling, L. S., & Randazzo, E. S. (2015). « Enhancing Sports Performance With Hypnosis: An Ode for Tiger Woods » Psychology of Consciousness: Theory, Research, and Practice. Advance online publication. http://dx.doi.org/10.1037/cns0000055
Patihis L, Younes Burton HJ. Psychology of Consciousness: Theory, Research, and Practice Vol.2(2), Jun 2015, pp. 153-169.
Renelli, Matteo. 2015. « Phenomenological experience in mindfulness meditation and hypnosis ».Dissertation Abstracts International: Section B: The Sciences and Engineering. Vol.76(1-B(E)).
Novembre / Décembre / Janvier 2016
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