Rémi Etienne, infirmier en équipe mobile de soins palliatifs à l’Institut de Cancérologie de Lorraine, hypnopraticien et formateur à l’Institut Français d’Hypnose
Nous vivons une époque passionnante, moderne et interconnectée, où l’ensemble des informations circulent avec une rapidité et une fluidité jusqu’ici inégalée. Chaque individu a aujourd’hui accès à une somme de données infinie, en temps réel et ce, quel que soit le lieu où il se trouve sur la planète. Parallèlement à ces progrès technologiques, les modes de vie se sont progressivement métamorphosés et notamment la place que les supports médiatiques (smartphone, tablette, ordinateur…) occupent aujourd’hui dans nos vies.
Cette place a considérablement bouleversé le rapport des individus à l’information. Si nous nous recentrons plus spécifiquement sur les thèmes de la santé et du bien-être, nous pouvons observer la manière dont les sujets sont abordés et notamment cette nouvelle tendance des journalistes à conseiller, expliquer et parfois même suggérer un idéal de santé, bien souvent en décalage avec la réalité du quotidien. «Comment avoir le contrôle sur sa vie ? », « reprendre sa vie en main en cinq leçons », un esprit sain dans un corps sain, « comment lâcher prise ? »… Comme s’il y avait une recette miracle applicable à l’infini, comme si ces injonctions d’aller mieux devaient souder l’ensemble de la population autour d’une méthode miracle, sans tenir compte des besoins, ni du contexte. Cette « norme positiviste » ne donne finalement que peu de place à la plainte, qui pourtant, est bien nécessaire pour savoir d’où l’on part pour commencer à avancer.
Les médias contribuent indirectement à diffuser cette « vague positive » comme une révolution du bien-être en encourageant l’individu à contrôler ce qui finalement semble lui échapper.
Une patiente m’a récemment expliqué comment après une lecture d’un livre traitant du « bien être », elle s’était mise à réaliser des mouvements de gymnastique devant sa glace tout en se
brossant les dents. Elle m’expliquait qu’en réalisant ces mouvements, elle optimisait « une tâche » qu’elle considérait comme « une perte de temps » en la couplant à des exercices physiques indispensables à son bon rétablissement. Pourquoi masquer cette perte de temps ?
De nos jours, quelle place reste-t-il à la passivité, à la contemplation ou plus simplement à l’ennui, sans être envahi d’un profond sentiment de culpabilité ? Sans doute que la puissante suggestion hypnotique du « ne rien faire » de Gaston Brosseau trouve sa portée thérapeutique dans ce conditionnement aux injonctions. Pour une fois, on ne demande pas à une personne de faire, ni de penser et encore moins de contrôler. Ce paradoxe déstabilise, «confusionne » et ouvre in fine des barrières psychologiques vers quelque chose de plus naturel pour l’être humain. Une suggestion thérapeutique qui s’observe généralement immédiatement au travers de la transe hypnotique : le corps se relâche, le sourire se dessine sur le visage, la manifestation des signes de transe est quasi simultanée au « ne rien faire ». Cela revient en quelque sorte à demander au patient d’être lui-même, au maximum de ses possibilités et pour une fois pour son propre compte.
L’hypnose est un outil formidable, toujours surprenant par sa capacité à exploiter une dimension inconnue de notre fonctionnement habituel. Mentaliser la passivité au cours d’une séance d’hypnose, c’est déjà commencer à accepter que ne rien faire c’est déjà faire quelque chose, c’est faire « ce fameux pas de côté » sur sa réalité et ses automatismes. Après la lecture de ce texte, je vous demanderai de rester dans la position dans laquelle vous êtes, de sentir les différents points d’appui de votre corps, d’écouter les sons qui vous entourent. Puis je vous demanderai de ne rien faire. Combien de temps cela vous prendra-t-il… ?
Bien hypnotiquement,
Rémi Etienne
Infirmier en équipe mobile de soins palliatifs à l’Institut de Cancérologie de Lorraine
Hypnopraticien
Formateur à l’Institut Français d’Hypnose
Directeur du centre de formation IPNOSIA Nancy